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et une paix pleine de récriminations à part soi. On peut admirer ici la profonde sagesse catholique, qui n’a pas voulu que les graves problèmes fussent livrés à de telles improvisations. Mais les Sages de la Grèce, et Platon lui-même étaient encore à la recherche d’un art de persuader et d’un art de convaincre, et l’on peut voir dans les immortels Dialogues le contraste, peut-être cherché, après tout, entre les discussions mot à mot qui jettent l’esprit dans le désordre, et les belles invocations, utiles surtout à relire, et qui font de si puissants éclairs. Mais il faut être bien au-dessus du discours pour lire Platon. Toujours est-il que bien des hommes, et non des médiocres, espèrent encore beaucoup d’une discussion serrée, où l’on porte des coups comme ceux-ci : « de deux choses l’une », ou bien : « je vous mets ici en contradiction avec vous-même ». Nul n’en est plus au Bocardo et Baralipton de l’école ; mais que de vaines discussions dans la longue enfance de la sagesse, d’après cette idée séduisante que la contradictoire d’une fausse est nécessairement vraie, ce qui ferait qu’en réfutant on prouve ! Mais l’univers s’en moque.

Il ne se moque pourtant point de nos angles, ni de nos triangles égaux ou semblables, ni du cercle, ni de l’ellipse, ni de la parabole. Ces choses sont élaborées par dialectique, les choses dont on parle étant d’abord définies par des paroles et ne pouvant l’être autrement, et puis le penseur se faisant à lui-même toutes les objections possibles, jusqu’à la conclusion inébranlable. Cette puissance de la dialectique mathématicienne a toujours étourdi un peu les penseurs, et encore plus peut-être lorsque le langage plus abstrait de l’algèbre sembla s’approcher davantage des secrets de la nature, au moins de l’astronomique, mécanique et physique. Et ce livre-ci a pour objet d’éclairer tout à fait ces difficultés, à savoir d’expliquer ce que peut la logique