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ne sont que de brefs discours, en forme de règle ou de maxime, propres à rappeler l’esprit à lui-même, dans le moment où les apparences se brouillent, par exemple devant une prédiction vérifiée, ou un miracle de jongleur, ou bien quelque découverte physique qui semble renverser tout, comme fut celle du radium un moment. Encore faut-il distinguer les principes de l’entendement d’avec les préceptes de la raison. Nul ne l’a fait aussi bien que Kant, chez qui vous trouverez aussi un exposé systématique des uns et des autres, que je n’ai pas l’intention d’expliquer ni de résumer ici. Mais essayons de dire ce qui importe le plus. La mathématique forme par elle-même un système des principes de l’entendement, c’est-à-dire un inventaire des formes sous lesquelles il nous faut saisir n’importe quoi dans l’expérience, sous peine de ne rien saisir du tout. Ce qui s’exprimera par des principes généraux du genre de ceux-ci : Il n’est point d’objet ni de fait dans l’expérience qui ne soit lié à tous les autres par des rapports d’espace et de temps. Il n’est point de changement en système clos qui, aux fuites près, ne laisse subsister quelque quantité invariable. Faites attention, au sujet de ce dernier principe, qu’il n’est que la définition même du changement. Le langage, qui se passe si bien d’idées, nous fait croire que nous pouvons penser quelque changement sans conservation de ce qui change. Et c’est bien ce qui arrive dans les apparences, où, à dire vrai, rien ne se conserve jamais, rien ne se retrouve jamais. Mais justement il faut porter toute l’attention sur ce point ; de telles apparences, par elles-mêmes, ne sont connues de personne. Quand je dis que la muscade du faiseur de tours a disparu, j’exprime deux choses à la fois, savoir que, dans les apparences, elle n’est plus, mais, qu’en réalité, elle est quelque part ; sans cette dernière certitude, la première remarque n’aurait plus de sens.