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à l’énoncer, vient tout autant des outils et mécaniques que de la théologie raisonneuse.

Il y a un peu plus d’obscurité lorsque les causes finales réussissent encore comme directrices dans la reconstruction des phénomènes naturels, par exemple lorsqu’on se dit que la lumière réfractée doit suivre le chemin minimum, et en général que la nature doit aller à son but par les moyens les plus simples. Mais ces fictions ne sont fictions que hors du travail et pour ceux qui en parlent en l’air. Dans le travail de recherche même, que l’on pense ou non aux fins de la nature, il y a toujours lieu d’essayer l’hypothèse la plus simple, toujours la meilleure si elle suffit. Et c’est nous qui suivons ici, dans nos suppositions, notre bon sens d’ouvriers, préférant sans nul doute, le système copernicien à quelque complication imitée de Ptolémée, ou une seule Vénus à deux étoiles.

Dans le fond le métier de penser est une lutte contre les séductions et apparences. Toute la philosophie se définit par là finalement. Il s’agit de se délivrer d’un univers merveilleux, qui accable comme un rêve, et enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser les faux dieux toujours, ce qui revient à réduire cette énorme nature au plus simple, par dénombrement exact. Art du sévère Descartes, mal compris, parce qu’on ne voit pas assez que les passions les plus folles, de prophètes et de visionnaires, qui multiplient les êtres à loisir, sont déjà vaincues par le froid dénombrement des forces. Évasion, sérieux travail.