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notre propre corps, puisqu’il le joint à d’autres et le connaît parmi les autres. Et tenant ferme là-dessus, nous ne voudrons pas non plus supposer des âmes intérieures aux choses et prisonnières ; car toute âme saisit le monde, plus ou moins clairement, plus ou moins éveillée, mais toujours tout indivisiblement. La connaissance que je puis avoir des étoiles n’a pas ajouté une partie à ma perception d’enfant, elle l’a seulement éclaircie ; elle l’a grandie, si l’on peut dire, du dedans, sans y rien ajouter. Il faut donc dire que toute conscience ou pensée est un univers, en qui sont toutes choses, et qui ne peut être dans aucune chose. Ainsi, bien loin de supposer une intention de volonté dans la pierre qui pèse, je ne dois même pas en supposer en cet animal qui se ramasse pour bondir ; car s’il pense, c’est tout l’univers qu’il pense et lui dedans ; ce que Leibniz sut bien dire par ses monades, mais sans se délivrer tout à fait de cette idée que les monades sont des parties ou composants. Descartes, moins soucieux de l’opinion, avait vu plus loin. Ainsi, voulant traiter de la cause dans l’objet, ou mieux de la cause comme objet, rejetons l’objet à lui-même et n’y voyons qu’étendue, entendez rapport extérieur absolument, jusque dans le corps vivant ; c’est la clef du vrai savoir, et de la vraie liberté, comme nous verrons.

Après cela, et appuyés sur cette puissante idée, source unique de toute physique virile et efficace, nous devons seulement distinguer la cause de la loi, ce qu’on ne fait pas assez. Car, par exemple, le nuage n’est pas cause de la pluie par lui-même il y faut encore un refroidissement tel que les gouttes grossissent et parviennent au sol avant d’être de nouveau vaporisées ; et, quand toutes ces causes, comme on dit mal, sont réunies, c’est la pluie même. Aussi, quand toutes les conditions de l’ébullition de l’eau, une certaine pression, une cer-