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d’économiser ces suppositions, qui sont plus obscures que ce qu’il s’agit d’expliquer. Tel est Descartes, l’ami et le frère de l’apprenti. Par exemple ayant à traiter de l’aimant, il se garde absolument d’y supposer une pensée, un désir ou une affection. Il recherche quel mouvement de corpuscules il faudrait inventer pour expliquer les pôles et les attractions. Ainsi sans avoir le moyen de prouver ce qu’il suppose, le double flux sortant par les pôles de la terre et frottant contre l’aimant qu’il finit par tourner selon la loi des pôles, sans pouvoir prouver cela, il est pourtant dans le vrai parce qu’il a fait la supposition juste et digne du physicien, c’est que ce sont des tourbillons extérieurs qui meuvent les aimants. Il suffit de ces exemples pour définir Descartes comme esprit libre et seul maître de ses méditations.

CHAPITRE XI

LE FAIT

On dit bien partout que nos connaissances sont réglées sur les faits et limitées là. Mais on ne l’entend pas assez. L’expérience est bien la forme de toutes nos connaissances sans exception ; mais non point ce dont on part, avant toute idée, ni ce qui décide entre une idée et l’autre. Le fait, c’est l’objet même, constitué par science et déterminé par des idées, et en un sens par toutes les idées. Il faut être bien savant pour saisir un fait.

C’est un fait que la terre tourne ; et il est clair que pour saisir ce fait, il faut ramasser et joindre, selon des rapports élaborés, beaucoup d’autres faits, qui enferment aussi des conditions du même genre. D’abord que les