Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être ; encore solitaire lorsqu’il parle. Son langage n’avertit point ; il est selon la coutume. Descartes n’a pas créé un langage, ni refait sa religion non plus, ni ses passions, ni ses humeurs ; tout cela ensemble, éclairé par le dedans, son langage si naturel nous l’apporte. Loin de changer le sens des mots, au contraire, il entend chaque mot dans tous ses sens à la fois, comme doit un homme. Le Dieu des Méditations, c’est le Dieu des bonnes femmes. Il écrit le Traité des Passions comme il va à Lorette. Et l’illumination de sa fameuse nuit, c’est un miracle et c’est sa pensée. Descartes est ici, et partout, entier et indivisible. Nul n’a philosophé plus près de soi. Le sentiment devient pensée, sans rien perdre. L’homme s’y retrouve tout, et le lecteur s’y perd. Ce regard noir ne promet pas plus. Il n’encourage guère, quoique poli. Par là il faut comprendre cet esprit conservateur et assez méprisant qui se défend de révolution. Car il n’a rien renié de lui jeune, et il a tout changé, mais non dans la structure ; en esprit seulement, sans révolution et sans rues neuves.

Ayant pensé avec suite, une bonne fois, à distinguer la pensée et l’étendue, il n’a plus craint de confusion ensuite, ni aucune difficulté. Tout fut renvoyé en son lieu. Toute âme en l’esprit, sans en laisser traîner dans les choses ; et en échange tous les mouvements renvoyés à la chose étendue, et toutes les passions rejetées dans le corps, choses redoutables mais maniables et finies. Mais tout cela passe bien, sans que le lecteur y pense trop, au lieu que l’animal-machine ne passe point du tout. Par les mêmes causes qui font que le sens commun se contente aisément des autres choses, il résiste là. Parce que, s’arrêtant aux petites raisons, toujours contestables, il ne voit pas que l’auteur répète ici encore les mêmes choses, mais plus fortement. À savoir que, dans aucune chose, il n’y a rien que parties et mouve-