Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont supposé que les astres décrivent des cercles : ensuite ils ont supposé l’ellipse, c’est-à-dire une courbe plus compliquée, d’après quoi ils approchent de la trajectoire réelle, qui est beaucoup plus compliquée encore.

Ces remarques sont pour rassurer le lecteur qui aurait le dessein de suivre les propositions du précédent chapitre concernant l’acquisition des idées ; car il ira à renverser complètement les notions qu’il a lues partout, non pas chez les Grands, qu’on ne lit guère, mais chez les philosophes de cabinet. Sommairement voici le dessin abstrait de toute acquisition d’idées. Le premier signe qui soit compris désigne naturellement tout, sans distinction de parties ni de différences ; et la première idée, jointe à ce premier signe, correspond à une idée très simple et très générale, comme Être, ou Quelque chose. Le premier progrès dans la connaissance consisterait à apercevoir et à désigner deux parts dans le Quelque chose, dont l’un serait par exemple Maman et l’autre Papa, ou bien Lélé, ou bien Lolo. Je cite ces deux mots enfantins, parce que j’ai remarqué que les petits Normands appellent le lait Lolo, comme l’eau, au lieu que les petits Bretons appellent l’eau Lélé, comme le lait ; et ces deux exemples font bien voir comment un mot sert d’abord pour beaucoup de choses, ce qui revient à dire que l’on va toujours d’un petit nombre d’idées très générales, à un plus grand nombre d’idées plus particulières. Les linguistes auraient à témoigner là-dessus, d’après ces racines que l’on retrouve modifiées mais toujours reconnaissables en tant de mots différents, ce qui montre assez que le même mot a d’abord désigné beaucoup de choses, d’après les ressemblances les plus frappantes. Toujours est-il que les peuplades les plus arriérées étonnent les voyageurs par un usage qui se retrouve en toutes, de donner aisément le même nom à des êtres qui se ressemblent fort