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vie même il doit donner tout son amour et toute sa douleur pour atteindre, par l’inquiétude et l’insatisfaction de l’amour terrestre, la parfaite satisfaction de l’amour divin ; et, par la connaissance de la douleur et de la trahison, un peu de la connaissance de la Passion de Notre Dieu. Aussi la vie a-t-elle encore et pour la dernière fois de Partage de midi ses beaux cris de jeunesse et d’amour, qui sont tout le langage de notre intime et lointaine barbarie :

… et ce corps autrefois de la jeune fille
Rose et reluisante comme un glaïeul et sa figure drue et dure comme une pierre !
Ô la fiancée qui donne sa bouche qui sent la jacinthe blanche et la touffe fraîche !…

Et ces mots d’une si humaine tendresse qu’ils nous semblent expliquer le mystérieux amour terrestre, et nous évoquent jusqu’aux larmes les âmes aimantes, humbles et belles, de nos enfances :

Ô mes enfants !
Ô quelle mère j’ai été pour vous ! Je regarde, levant les yeux,
Comme ils regardent pendant que je leur lis tout haut
La chère maman de leurs yeux confiants et tranquilles !…

Mais tout cet amour et toute cette douleur ce n’est que le vieil amour et la vieille douleur du Crucifié, tout cet amour, ce n’est que Dieu – et, pour chanter sa gloire, ce sont de grandes images vivantes et violentes comme celles de Walt Whitman :

… De puissants astres pareils à de grandes vierges flamboyantes devant la face de Dieu…

Ce sont des cris de fou et de prophète comme ceux de Verlaine ou de Saint Augustin :

Est-ce que je ne suis pas un homme ? Pourquoi est-ce que Vous faites le Dieu avec moi ?

Tout cela médité, ordonné, calculé avec une précision surhumaine que le Philosophe dira mais que le Poète ne peut que sentir en décrivant, comme c’est sa tâche, le grand trouble apporté par cette lecture dans la vie primitive et les paysages mystérieux de son cœur.