sence, comme je souffre de la sienne ; mais, pour
cette fois, tout est fini, bien fini entre nous : un
monde va nous séparer pour toujours ; nous ne
nous reverrons jamais. Ce n’est plus à présent pour
moi qu’un doux songe ; le réveil a été terrible !
mais, grâce à Dieu ! si la lutte a été opiniâtre, elle
a été décisive : j’en suis sorti vainqueur ; seul j’ai
vécu, seul je dois vivre, seul je mourrai ; je suis
résigné. Le masque que désormais je porterai sur
le visage, nul ne le verra grimacer ; les trésors
de foi, d’amour, de bonté qui existent au fond de
mon cœur y resteront enfouis ; de mon caractère
on ne verra plus que le côté sceptique, railleur et
égoïste ; méconnu dès la première heure de ma
naissance, je vivrai seul et méconnu, et je mourrai
comme je suis né, méprisant cette société hybride,
qui n’a de sourires et d’encouragements
que pour ceux qui encensent toutes les bassesses
et flattent toutes les ignominies.
— Prenez garde, Olivier vous vous engagez dans une mauvaise voie : cette misanthropie, à laquelle vous vous laissez aller, se changera plus tard, malgré vous, en haine.
— Non, mon ami, cela n’est point à redouter : je resterai bon, quoi qu’on fasse ; seulement, je me couvrirai d’une peau de loup, afin de ne pas être une proie aussi facile pour les loups véritables, qui peuplent cette forêt ténébreuse et remplie de fauves qui constitue la société dans laquelle nous sommes contraints de vivre, quoi que nous fassions pour lui échapper. Mais parlez-moi d’elle, je vous prie : la pensée de cette jeune fille me rafraîchit le cœur ; elle est un baume posé sur les douleurs cruelles qui me torturent.