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était trop tard, le mal était fait et irréparable : né d’un double adultère, vous étiez condamné à ne jamais rien être ; j’essayai de m’étourdir, d’oublier dans les enivrements de l’ambition. J’avais trois fils ; ces fils étaient ma joie, mon bonheur : tous trois tombèrent frappés l’un après l’autre par la mort sur le champ de bataille ; leur mère, un ange, succomba à la douleur d’avoir perdu ses fils. Je demeurai seul avec la fille qui me restait ; je compris alors que Dieu appesantissait son bras sur moi et qu’il me châtiait. Je mariai ma fille, et, pour conjurer la colère divine, je résolus de réparer le mal que j’avais fait. Je vous fis chercher pour vous rappeler près de moi, et, en vous adoptant, vous rendre tout ce que vous aviez perdu par mon crime ; mais, malgré moi, peut-être sans en avoir conscience, j’agissais, cette fois encore, par orgueil, poussé à mon insu par ce féroce égoïsme qui a perdu ma vie. Faute d’enfants mâles, mon nom allait s’éteindre, ce nom que mes ancêtres et moi avons fait si glorieux ! Ce nom, je vous le transmettrais : telle était ma pensée intime. Je vous retrouvai ; il était trop tard, vous n’étiez plus, vous ne pouviez plus être mon fils ! Élevé dans un autre milieu, vous n’aviez ni les instincts, ni le caractère de votre race ! Vous étiez inhabile à comprendre mes théories, vous ne les vouliez même pas admettre. Jeté et abandonné au milieu du peuple, vous étiez devenu peuple ; il ne restait plus en vous rien du gentilhomme. J’essayai vainement de me tromper moi-même, d’étendre un voile devant mes yeux : force me fut de comprendre l’inanité des projets que j’avais formés ; je dus renoncer à voir en vous un successeur, un héritier