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passage ; et, comme il était d’une force et d’une adresse extraordinaires à toutes les armes, il sortait toujours vainqueur de ces duels improvisés ; et, ainsi qu’il le disait en riant, car il était très-gai de caractère, il leur rendait ainsi en détail ce qu’ils lui avaient fait souffrir en gros ; bien que la paix existât entre la France et la Grande-Bretagne, il continuait la guerre pour son compte particulier.

Le capitaine Legonidec était de taille moyenne, avait les épaules larges, les bras d’une longueur démesurée et la tête énorme ; les traits énergiques, la face apoplectique, le front fuyant les yeux petits, enfoncés dans l’orbite, gris, pétillants de malice et couronnés de sourcils en broussailles ; le nez gros, les pommettes saillantes, la bouche grande, les lèvres épaisses, rouges, et des dents excellentes, mais noircies, ou plutôt jaunies par l’abus immodéré de la chique, cette consolation du marin pendant les longs quarts de nuit ; un menton carré : ses favoris roux ébouriffés venaient rejoindre les coins de sa bouche ; il était légèrement voûté et avait les jambes très-arquées par l’habitude du roulis et du tangage ; avec tout cela, constamment l’air renfrogné et de mauvaise humeur, et pourtant la physionomie mobile et excessivement sympathique, à cause de la franchise qui en était le trait particulier ; sa voix ressemblait quand il se fâchait, ce qui lui arrivait trop souvent, au grincement du flot courant sur les graviers de la plage.

En un mot, c’était le type, perdu aujourd’hui, du loup de mer, tel qu’il existait encore à cette époque, avec toutes ses qualités et ses défauts : c’est dire