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— Et l’on ajoute rien ?

— Oh ! on ajoute beaucoup de choses au contraire ; les commentaires vont un train d’enfer.

— Tenez, señor don Pedro, asseyez-vous. Voici d’excellents puos, de vrais havanes ; des feuilles de maïs pour confectionner des pajillos ; là dans cette bouteille du refino de Catalruña, dont je vous garantis l’authenticité ; si vous n’avez rien de pressé à faire, causons ; je vous avoue que tout ce que vous me dites m’intéresse beaucoup.

— Je ne demande pas mieux que de vous être agréable, caballero ; répondit l’haciendero, qui en réalité avait un certain faible pour le refino.

Les trois hommes s’installèrent commodément autour de la table, emplirent leurs verres, allumèrent leurs cigarettes ou leurs cigares, et la conversation reprit :

— Voyons un peu ces histoires que l’on forge, à propos de cette voile prétendue des Ladrones ; dit l’Olonnais en avalant d’un trait le contenu de son verre.

— Voici ce que j’ai entendu, répondit l’haciendero ; les Ladrones, comme vous le savez, ou comme vous ne le savez pas, en votre qualité de tierras a dentro vous pouvez ignorer ces détails…

— En effet, señor, je vous avoue, que venant pour la première fois à la côte, je ne connais même pas de nom, ces Ladrones, dont vous me parlez ; je ne serais pas fâché, d’être renseigné tant soit peu sur leur compte.

— Très-bien ; ces Ladrones sont des bandits hérétiques appartenant à toutes les nations ; ils n’ont pas le bonheur, comme nous de connaître la vraie religion ; ce sont des démons, ayant à peine forme humaine ; ils ont de long cheveux roux, de gros yeux ronds à fleur de tête, le nez épaté, la bouche fendue d’une oreille à l’autre, avec des dents longues et pointues dont quelques-unes s’avancent au dehors, en se recourbant comme des défenses de sangliers.

— Caraï ! dit l’Olonnais en riant, voilà des gaillards d’une jolie laideur !