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Lorsque M. le duc de la Torre se fit annoncer, le pseudo-colporteur en était arrivé au plus fort de son exposition ; il commençait presque, tant il était dans l’esprit de son rôle, à se prendre au sérieux et à se demander, s’il n’était pas réellement un marchand ambulant.

L’arrivée du duc donna un autre tour à la conversation ; pour un instant les marchandises furent sinon méprisées, du moins momentanément délaissées. Puis peu à peu, les choses reprirent leurs cours ordinaire et les dames recommencèrent à admirer les étoffes magnifiques étalées devant elles.

Une chose seulement étonnait la duchesse : le duc s’était assis dans un coin de la pièce et, contre toutes les règles de l’étiquette, il avait offert un siège au second colporteur ; tous deux s’entretenaient à voix basse, avec une certaine animation, sans paraître s’intéresser le moins du monde à ce qui se faisait autour d’eux.

Cette conduite était au moins singulière surtout de la part d’un homme comme le duc de la Torre, et devait causer une certaine surprise ; cependant la duchesse croyant ou feignant de croire que de hautes raisons politiques justifiaient ce conciliabule secret, ne parut pas y attacher d’importance.

Après avoir enfin arrêté leur choix sur certaines marchandises, grande affaire pour les dames, et en avoir débattu le prix avec le colporteur, la duchesse demanda sa bourse à une de ses caméristes, paya ses achats, et se préparait à congédier son jeune marchand, lorsque le duc, après avoir ordonné aux caméristes d’enlever ces précieuses babioles, et de les transporter dans une autre pièce, quitta son siège, s’approcha du colporteur et lui posant légèrement la main sur l’épaule :

— Eh bien, mon ami Pitrians, lui dit-il en français du ton le plus aimable, voilà une bonne affaire pour vous ? votre commerce ne va pas mal à ce que je vois ?

— Mais non, grâce à Dieu ! je vous remercie, monseigneur ; répondit le jeune homme sans se déconcerter le moins du monde.