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 ; il ne me reste plus qu’à vous embrasser, vous serrer la main, et vous souhaiter bonne chance, frères ; souvenez-vous du signal dont nous sommes convenus ; adieu, matelots.

Les trois hommes se serrèrent affectueusement la main, s’embrassèrent et retournèrent de compagnie vers le canot. Vent-en-Panne prit une dernière fois congé de ses amis et sauta dans l’embarcation qui s’éloigna rapidement. En quelques minutes elle atteignit le léger navire et fut hissée à bord ; le bâtiment orienta ses voiles, vira gracieusement sur lui-même, piqua dans le vent, s’éloigna en haute mer ; au bout d’un quart d’heure, il n’apparaissait plus aux deux boucaniers, dont les regards le suivaient anxieusement, que comme l’aile d’une mouette ; puis tout disparut.

En se voyant seuls, séparés peut-être pour toujours de leurs compagnons, les jeunes gens laissèrent échapper un soupir involontaire et poignant.

Si solidement trempé que soit un homme ; si ferme que soit son cœur, il y a certains moments d’une haute gravité dans l’existence, où malgré lui, il sent son courage faiblir, son âme s’attrister. L’isolement est une des situations les plus terribles dans lesquelles puisse se trouver un individu ; aussi cause-t-il une impression plus forte que toutes autres péripéties, souvent plus sérieuses, d’une vie d’aventures et de hasards.

— Songeons à nos affaires, dit brusquement l’Olonnais ; surtout entendons-nous bien afin de ne pas commettre d’imprudence ; d’abord renonçons quant à présent à la langue française pour ne plus parler que l’affreux charabia des señores.

— Très-bien, c’est-à-dire muy bien ; répondit Pitrians avec un gros rire. La première chose que nous devons faire, est de nous éloigner le plus promptement possible du rivage ; si le hasard amenait quelque curieux par ici, il trouverait assez singulière la présence de deux arrieros, avec leur recua, dans un endroit, où ne conduit