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t’en voudrais sérieusement, je te l’avoue, de m’adresser de telles paroles, dont tu ne penses pas un mot.

— Au fait c’est vrai ; pardonne-moi, matelot, j’ai voulu te tendre un piège ; j’ai eu tort, d’autant plus que je sais combien tu t’intéresses à cette famille ; eh bien ! à présent que j’ai lu ces papiers, je te le dis franchement, moi aussi je m’y intéresse ; si je puis l’empêcher je te jure que pas un cheveu ne tombera de la tête d’un de ses membres.

— Merci, matelot, à la bonne heure, je te reconnais ; ainsi ta pensée…

— La voici, toute entière : Le duc de la Torre est arrivé à la Vera-Cruz, depuis deux ou trois jours à peine, en admettant un beau temps continuel. Or nous sommes à la fin de septembre, le navire chargé du cabotage entre Chagrès et la Vera-Cruz, et vice versa, n’exécute ce voyage que trois fois par an, en décembre, en avril et en août, parce qu’il est obligé de se régler d’abord, sur les arrivages d’Europe, et sur le départ des galions du Pacifique ; or étant à la fin de septembre, nous avons deux mois et demi devant nous ; deux mois et demi pendant lesquels, nous sommes certains que le duc de la Torre restera à la Vera-Cruz ; nous avons donc tout le temps nécessaire pour essayer de parvenir jusqu’au duc, et l’avertir du danger dont il est menacé ; voici mon plan : Toi et Pitrians, le jeune bien entendu, vous vous noircissez le teint et les cheveux ; cela fait, le diable m’emporte si, grâce à votre connaissance approfondie de la langue espagnole, on ne vous prend pas pour des Andalous. Je frète un navire, sur lequel j’embarque un demi douzaine de mules, avec tous les harnachements nécessaires, douze ballots de marchandises de provenance espagnole ; puis je vous trouve n’importe comment, ceci me regarde, des papiers bien en règle, constatant que vous êtes né au Ferrol, port que vous connaissez sans doute ?

— Sur le bout du doigt, appuya l’Olonnais.

— Très-bien ; afin de ne pas attirer l’attention, j’arme mon navire dans la baie de Gonaves, point presque