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à la face rubiconde et au ventre piriforme, sommeillait derrière son comptoir, en dodelinant de la tête, et baritonnant du nez ; ce qui produisait un grondement continu, ressemblant assez à un tonnerre lointain.

Pitrians s’assit devant une table, sur laquelle il frappa aussitôt à coups redoublés, en criant d’une voix sonore :

— Ave Maria Purissima.

Ce à quoi le pulquero ouvrant machinalement les yeux, répondit sans avoir conscience de ce qu’il disait, par les paroles sacramentelles :

— Sin peccado concebida ! puis un peu plus éveillé, il ajouta : Que désirez-vous, señor ?

— Du tepache ; répondit bravement l’aventurier ; surtout qu’il soit bon.

Le pulquero se leva en grommelant, de fort mauvaise humeur d’être dérangé dans son sommeil ; le digne homme ne comprenait pas comment, lorsqu’il est si agréable de faire sa siesta, on pouvait avoir la pensée saugrenue de venir troubler le repos des honnêtes gens pour boire du tepache ; cependant il s’exécuta.

— Eh ! compadre, lui dit gaiement Pitrians, est-ce que vous me laisserez boire seul ? votre tepache embaume, il doit être excellent ; mais je le trouverais bien meilleur encore, si vous en buviez un verre avec moi ?

— Eh ! fit le pulquero, dont la large face s’épanouit, et qui était en réalité un brave homme, ne dédaignant pas à l’occasion de lancer le mot pour rire, est-ce que vous craignez d’être empoisonné, compadre ?

— Non, mais je suis voyageur ; je n’aime pas boire seul.

— C’est une bonne habitude que vous avez là, compadre, la liqueur semble meilleure quand on est deux ; tout en buvant on cause.

— Voilà ; vous avez mis le doigt sur la question ; du reste, je ne suis pas tout à fait étranger à Medellin.

— Ah ! vous êtes déjà venu par ici ? en effet, à présent que je vous regarde, il me semble que votre visage ne m’est pas inconnu.