Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nouvelle imprudence plus grande que toutes les autres : Les Hispanos-américains, les Mexicains surtout, particulièrement ceux de la basse classe, tels que les Leperos et autres gens de la même sorte, professent une crainte superstitieuse pour les armes à feu ; en laisser voir dans une querelle, c’est presque se dénoncer comme étranger ; eux dans leurs rixes n’emploient jamais que le couteau, dont ils se servent du reste très-adroitement, et dont ils ont une telle habitude qu’ils ne le redoutent plus.

Le Chat-Tigre, malgré, ou peut-être à cause du rôle qu’il jouait en ce moment, jouissait d’une influence occulte ; il n’hésita pas à dénoncer les deux hommes comme étrangers ; de là à les faire passer pour espions, et à réveiller les soupçons à peine assoupis, conçus d’abord contre eux ; il n’y avait qu’un pas, ce pas fut aussitôt franchi.

Un matin, les deux jeunes gens se préparaient à sortir, lorsqu’un alguazil se présenta à leur domicile, leur exhiba un mandat, et leur enjoignit de le suivre chez le Juez de Letras ; qui avait, disait-il, certains renseignements à leur demander.

L’invitation était un ordre ; les deux jeunes gens le comprirent ainsi ; la force n’était pas de leur côté, ils se virent, à leur grand regret, dans la dure nécessité d’obéir.

Le Juez de Letras était un petit homme rondelet à la physionomie simiesque, d’une expression joviale, dont les yeux ronds et gris brillaient comme des escarboucles.

— Ah ! ah ! dit-il, No Cardillo, voilà les deux hommes en question ?

— Oui, señor don Prudencio Bribon, j’ai l’honneur de vous les amener.

— Très-bien ; reprit le juge en se frottant les mains, laissez-moi causer avec eux ; pendant ce temps, tenez-vous dans la pièce à côté, si j’ai besoin de vous, je vous avertirai.