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— N’insistez pas sur ce sujet, Fleur-de-Mai ; ne serait-il pas plus convenable au contraire, maintenant que les forces de cette dame sont à peu près revenues, de la ramener près de son père, dont l’inquiétude doit être grande ?

— C’est en vain que vous essayez de me fermer la bouche, reprit-elle, avec une énergie fébrile, vous ne réussirez pas à me tromper. Pourquoi ce noble seigneur est-il venu à Saint-Domingue ? cette noble demoiselle, grâce au rang qu’elle occupe dans la société, ne manquera jamais d’adorateurs, sans qu’il lui soit nécessaire de les choisir parmi les Frères de la Côte. Vous vous aimez, vous dis-je ; quoi qu’il arrive, rien ne pourra vous empêcher d’être l’un à l’autre.

— Arrêtez, madame ! s’écria doña Violenta avec animation, je ne vous connais pas, j’ignore qui vous êtes ; mais à mon tour, je vous demanderai de quel droit vous prétendez faire ce que votre compagnon et moi nous n’avons pas osé tenter, c’est-à-dire scruter nos cœurs ? Et, quand cela serait vrai ? quand un sentiment plus doux, quand une passion plus profonde que la plus sincère amitié se serait, à notre insu, glissé dans notre âme, de quel droit prétendriez-vous nous contraindre à vous faire, à vous, un aveu que nous n’osons nous faire à nous-mêmes ? J’ai contracté d’immenses obligations envers votre ami ; nous avons, pendant plusieurs mois, vécu côte à côte sur le même navire, mais nous allons nous séparer, pour ne jamais nous revoir ; pourquoi, ou plutôt dans quel but, essayez-vous de nous rendre cette séparation plus cruelle qu’elle ne doit l’être ? vous commettez presque une mauvaise action, en essayant de provoquer des aveux que ni lui, ni moi ne pouvons, ni ne devons faire.

— Vous voyez bien que vous l’aimez, madame, mon cœur ne m’avait pas trompée ; je savais que cela était ainsi. Eh bien, je serai plus franche que vous ne le voulez l’être ; moi, madame, je n’ai aucune considération à garder ; je suis une orpheline vivant au jour le jour,