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demeurant neutre en apparence, il se préparait à le soutenir au besoin ; d’autant plus que lui aussi avait cru reconnaître les deux hommes, et que le soupçon d’une trahison avait traversé son esprit.

— Allons, la paix, Mastrillo ! dit El Gato-Montès ; ne cherche pas querelle à ce caballero, il a raison ; ce qu’il dit ne saurait nous toucher, nous sommes tous d’honnêtes gens, que diable !

À ce brevet d’honnêteté si singulièrement octroyé, les bandits se redressèrent, en frisant fièrement leurs moustaches ; personne n’est plus chatouilleur que les coquins, sur le point d’honneur.

La partie commença : tous les assistants étaient des joueurs expérimentés, passés maîtres au noble jeu du monté ; aussi la bataille fut-elle chaude ; contrairement à ce qu’on aurait pu supposer en jugeant ces gentilshommes sur la mine, tous avaient les poches pleines d’or.

La partie disputée avec acharnement, pendant près de deux heures, finit enfin par se déclarer en faveur de l’Olonnais, dont la veine devint bientôt stupéfiante. Tout l’or de ses adversaires venait s’accumuler devant lui, en un monceau aux reflets fauves, qui semblait avoir la propriété d’attirer invinciblement les regards ardents des joueurs.

Si l’on jouait fort, on buvait à proportion ; si bien que malgré la sobriété proverbiale des Espagnols, soit par suite de la surexcitation causée par le jeu, soit par suite de l’atmosphère chaude et fétide au milieu de laquelle ils se trouvaient, bientôt tous ces hommes dont les passions étaient exaltées, sentirent les premières atteintes de l’ivresse ; cependant le jeu continuait toujours, les mises se doublaient, se triplaient sans interruption.

Tout en taillant, en fumant sa cigarette et en causant avec ses adversaires, l’Olonnais suivait du coin de l’œil les mouvements du señor Mastrillo ; déjà plusieurs fois sans paraître le remarquer, il avait vu la main de ce caballero s’avancer timidement vers son monceau d’or