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la mer, pour la plus grande glorification de votre superstition. Ce serait commettre un crime réel, que Dieu ne laisserait pas impuni.

— Je dois, dit le capitaine, tout en donnant satisfaction aux justes susceptibilités de mon équipage, essayer de concilier mon devoir avec ce que me commande impérieusement l’humanité. Pour cela je crois que la seule chose que j’aie à faire est de vous descendre dans un canot avec des vivres, et de vous abandonner à la garde de Dieu. Si, comme vous le prétendez, vous êtes des gens honnêtes, la main paternelle et toute-puissante de la Providence s’étendra sur vous ; et, j’en ai la conviction, il ne vous arrivera rien pendant les quelques jours de traversée, que vous aurez à faire pour atteindre le but de votre voyage. S’il en est autrement, vous n’aurez de reproches à adresser à personne, puisque ce sera Dieu lui-même qui vous aura punis.

Ce discours assez peu clair et que les matelots eurent garde de comprendre, produisit cependant sur eux un excellent effet. Ils ne voulaient que le débarquement des deux aventuriers. Aussi applaudirent-ils avec enthousiasme à la détermination prise par le capitaine, et sans attendre qu’il leur en donnât l’ordre, se mirent-ils en devoir de lancer le canot à la mer.

Les deux frères comprirent que, devant une telle manifestation de la volonté générale, toute résistance était inutile. Heureux de ne pas être maltraités davantage par ces hommes ignorants, ils se résignèrent à leur sort ; avec une facilité qui, si elle ne leur attira pas la sympathie de ces gens égarés, les contraignit du moins, à les traiter avec certains égards ; ils se mirent en devoir d’obéir.

Les matelots espagnols, satisfaits de se débarrasser de ces hommes, qu’ils considéraient comme des hérétiques, et dont ils craignaient la mauvaise influence pour la suite de leur voyage, ne firent aucune difficulté pour placer dans le canot non-seulement les vivres nécessaires pour une traversée qui, d’après leurs calculs, pouvaient durer une quinzaine de jours ; mais en-