Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soient notre sauvegarde jusqu’à nouvel ordre. J’insiste sur ce point, parce que je redoute beaucoup les confidences, que tu as faites à ce misérable officier de la Compagnie.

— Je te donne ma parole, encore une fois, mon ami, que je ne lui ai rien dit qui puisse nous compromettre.

— Dieu veuille qu’il en soit ainsi, mon frère ! Mais tu conviendras avec moi que, par une fatalité inexplicable, nos projets les mieux conçus, nos combinaisons les plus profondes, ont toujours échoué par ta faute ; ou pour mieux dire, à cause de la trop grande facilité, avec laquelle tu te lies et donnes ta confiance.

— Je passe condamnation, mon frère ; cependant je ne me crois pas aussi coupable que tu m’accuses de l’être.

En ce moment de grands cris se firent entendre ; cris de frayeur et d’étonnement. Plusieurs matelots réveillés en sursaut se tenaient sur la lice, et considéraient d’un air effaré, un objet qui semblait flotter sur la mer, mais que les deux hommes ne pouvaient apercevoir.

Les matelots espagnols, en proie à une terreur indescriptible, faisaient signes de croix sur signes de croix et marmottaient des prières ; le capitaine lui-même tremblait de tous ses membres, et était blanc comme un suaire.

Les deux aventuriers, ne pouvant obtenir aucune réponse raisonnable des hommes de l’équipage, s’élancèrent sur l’arrière, et dirigèrent leurs regards vers le point qui attirait l’attention de l’équipage.

Un frisson de terreur agita leurs membres, à la vue du spectacle étrange qui s’offrit à leurs yeux.

Dans le sillage de la pirogue, on voyait s’élever et s’abaisser tour à tour, un homme saillant de la mer jusqu’à la ceinture et qui, aux reflets fantastiques de la lune, semblait lancer sur l’équipage des regards menaçants.

Son visage était livide, ses traits convulsés par une horrible souffrance ; une grimace, ou plutôt un rictus