Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordre du Cardinal Mazarin qui avait, de lui, une frayeur terrible.

L’étranger, ainsi que tout homme sensé aurait fait à sa place, jugea prudent, avant que d’aller plus loin, de prendre langue et de se renseigner ; afin de ne pas commettre d’énormités, lorsqu’il se trouverait en présence de certaines personnes avec lesquelles il avait à traiter d’affaires très sérieuses.

À cette époque, plus encore qu’aujourd’hui, les cabarets étaient le rendez-vous habituel des oisifs, des nouvellistes, et surtout des Politiqueurs, ainsi qu’on disait alors. L’inconnu avisa, près du palais de Justice, un cabaret, à l’enseigne de la Pomme de Pin, très-renommé, où se réunissaient presque tous les poètes du temps ; tous gens aimant fort à humer le piot, et dans lequel, parfois, certains membres du parlement eux-mêmes, ne dédaignaient pas de s’introduire à la dérobée, pour boire d’un certain vin d’Arbois, auquel le digne cabaretier devait la grande réputation dont il jouissait.

Le voyageur jeta un regard autour de lui pour s’orienter ; mais il reconnut aussitôt la difficulté, sinon l’impossibilité de traverser à cheval les groupes qui se pressaient aux abords du palais et sur la place, alors fort étroite. Son parti fut pris en une seconde. Il mit pied à terre, jeta la bride à son domestique, lui ordonna d’aller l’attendre avec les deux chevaux auprès du Pont-au-Change ; puis, serrant son manteau autour de son corps, baissant les ailes de son feutre sur ses yeux, il se glissa à travers la foule, en faisant jouer adroitement la poignée de sa rapière, et ses coudes pointus qu’il enfonçait sans pitié dans les côtes de ses voisins : Il parvint sans encombre, mais non pas sans avoir été salué par maintes malédictions, de la part de ceux qu’il poussait si rudement, à se frayer un passage jusqu’à la porte du cabaret.

Arrivé-là, ce fut une seconde lutte, plus sérieuse et plus opiniâtre à soutenir ; le cabaret regorgeait littéralement de buveurs et de gens qui, assis ou debout, pé-