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réunies sur les pas des portes, causaient entre elles avec animation ; çà et là, sur les places et dans les carrefours, des bourgeois et des hommes du peuple, les traits sombres, les sourcils froncés, les regards étincelants, s’entretenaient à voix basse, en faisant des gestes de menace et en proférant, à demi-voix, des malédictions qui semblaient s’adresser à son Éminence, monseigneur le Cardinal Mazarin, alors premier ministre, et tout-puissant sur l’esprit de la reine-mère, régente du royaume.

Au fur et à mesure que le voyageur s’enfonçait dans le cœur de la ville, la fermentation devenait plus grande ; les groupes, plus nombreux et plus animés ; mais, chose singulière ! l’étranger remarqua que ces groupes étaient plutôt railleurs et ironiques que menaçants et hostiles. On entendait bien, çà et là, quelques cris de : « À bas, Mazarin ! » poussés au milieu des rires avec force quolibets plus ou moins mordants et désagréables, à l’adresse du Cardinal-Ministre ; mais les cris les plus nombreux étaient : « Vive Gondi ! Vive le Coadjuteur ! » et enfin : « Vive le duc de Beaufort ! » c’était ce dernier cri surtout qui plongeait l’étranger dans une stupéfaction extraordinaire.

Pourquoi « Vive Beaufort ? » À quel propos ce nom qu’il croyait oublié, se trouvait-il ainsi dans toutes les bouches ?

Cela confondait le voyageur qui, fort au courant des affaires politiques de l’époque, savait parfaitement que le petit-fils du Roi Henri IV, chef de la faction des Importants, avait, cinq ans auparavant, été arrêté en plein Louvre par Guitaut, le capitaine des Gardes, qui lui avait demandé son épée par ordre de la reine, avec laquelle il avait été, le jour même, faire collation à Vincennes, dont Chavigny était gouverneur, et qui, pendant tout le temps que cette promenade avait duré, lui avait fait le plus charmant visage. L’étranger savait de plus que, depuis cette époque, le duc de Beaufort était étroitement gardé au donjon de Vincennes, par