n’as rien perdu de ta finesse première ; c’est très-agréable d’avoir à lutter contre un ennemi aussi fort.
— Ne raille pas, Ludovic, si, au lieu d’être blessé et garrotté comme un veau qu’on mène à l’abattoir, j’étais debout devant toi, les armes à la main, ces paroles pourraient avoir un certain sel dans ta bouche ; mais dans la situation présente, ce n’est qu’un misérable sarcasme, indigne de toi et de moi : ne me donne pas le coup de pied de l’âne ; tu me tiens, venge-toi, mais venge-toi en gentilhomme, non en bandit.
— Pour cette fois, tu as raison, on ne doit jamais frapper un ennemi à terre ; mais toi-même l’as dit, tu as un secret ; ce secret, je veux le connaître.
— Et si je refuse de te le révéler ?
— Oh ! alors !… dit Vent-en-Panne, en serrant avec force le canon de son fusil…
— Allons, ne retombons pas dans les menaces et les personnalités ; tu admets, n’est-ce pas, que tu ne m’inspires aucune crainte ; que je suis parfaitement résigné au sort quel qu’il soit que tu me réserves ? Eh bien, ceci posé, je veux te prouver que je suis de meilleure composition que toi. Ce secret, tu vas le savoir ; connais-tu le duc de la Torre ?
— Je le connais de nom, c’est un parfait gentilhomme, m’a-t-on dit ; un Espagnol, élevé à la cour de France, où même il a épousé une Française, par les soins de la Reine-Mère et du Cardinal de Mazarin.
— C’est cela même ; tu n’as pas vu ce gentilhomme ?
— Jamais, je te le répète.
— Eh bien, moi, je connais le duc de la Torre ; je l’ai vu plusieurs fois ; j’ai été, d’une façon indirecte, en rapport avec lui ; j’ai entrevu sa femme et sa fille.
— On les dit charmantes, mais je ne les ai jamais vues.
Un éclair passa dans le regard du blessé, ou plutôt du Chat-Tigre, pour l’appeler par son nom de guerre, mais il se contint et reprit froidement :