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— Ce qui veut dire, n’est-ce pas, que j’ai parlé dans mon sommeil ?

— Oui, capitaine.

— Tu es là depuis longtemps ?

— Depuis près de deux heures.

— Alors tu as entendu les paroles que j’ai prononcées ?

— Toutes.

Il y eut un silence ; Bothwell était pâle, ses sourcils étaient froncés à se joindre ; ses yeux lançaient des éclairs, en s’arrêtant sur la jeune fille, dont la position n’avait pas changé.

— Je n’ai pas espionné ton sommeil, capitaine, répondit-elle simplement, tu criais si haut ; tu semblais en proie à une si grande épouvante, que j’ai craint qu’il te fût arrivé je ne sais quel accident ; je me suis levée, et je suis accourue vers toi, sans savoir ce que je faisais ; je voulais appeler mon père, mais en m’approchant de toi, j’ai reconnu que tu dormais ; je suis demeurée.

— Quelle pensée t’est venue, en m’entendant parler, ou plutôt crier ainsi ?

— Cela m’a fait de la peine, parce que j’ai compris que tu soutenais une lutte contre l’esprit du mal, et que tu devais horriblement souffrir, capitaine.

— Que disais-je donc ?

— Tu parlais très-vite ; j’avais beaucoup de difficultés à comprendre ; puis souvent tu ne parlais ni français ni espagnol, mais tu t’exprimais en anglais ; je ne comprends pas cette langue. C’était surtout l’anglais, que tu parlais le plus fréquemment ; parfois tu semblais menacer ; d’autres fois on aurait dit que tu priais ; puis tout à coup, tu criais : tue ! tue ! à mort ! pas de grâce ! après un long silence, tu as dit une phrase que j’ai retenue tout entière.

— Quelle phrase, chère enfant ?

— Celle-ci : « Implacable ! oui je le serai ! que m’importent leurs tortures, leurs cris d’agonie ; c’est de l’or que je veux ! » ton accent était terrible en parlant ainsi : moi je tremblais.