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frères ; c’était la même coupe de visage, la même harmonie dans les traits, la même physionomie railleusement cruelle ; tous deux étaient blonds, bien faits, élégants de parler et de manières ; et paraissaient doués d’une souplesse de corps et d’une vigueur extraordinaires ; pour compléter cette ressemblance surprenante, ils avaient la même expression dans le regard et un timbre de voix si complétement semblable, qu’en entendant parler l’un, on entendait parler l’autre, il était impossible de ne pas y être trompé ; la seule différence existant entre eux était celle-ci, autant l’un portait la tête droite, avait le regard provocateur, la parole brève, et le geste prompt, autant l’autre affectait la douceur et l’humilité, baissait modestement les yeux, regardait comme par surprise et à son insu, les frais et riants minois qui passaient près de lui en l’agaçant, et affectait dans toute sa personne, la candeur la plus naïve et le dédain le plus profond pour les choses de ce monde ; n’aspirant qu’à se retirer au fond d’un cloître, pour y faire pénitence de ses erreurs.

Celui-là était le plus redoutable des deux ; aussi, bien que lui-même se fût donné le nom de Chanteperdrix, afin sans doute de bien constater la pureté de son âme, les boucaniers l’avaient entre eux baptisé, le Chacal.

Au premier coup de dix heures sonnant à une pendule posée sur un piédouche, Bothwell désirant sans doute en finir, vida son verre et s’adressant au Chat-Tigre.

— Dites moi, compagnon, fit-il, ne pensez-vous pas comme moi, qu’il serait temps de mettre de côté pipes et liqueurs, et de causer de choses sérieuses, ne serait-ce que pendant cinq minutes ?

— En effet, répondit le Chat-Tigre, nous oublions qu’il se fait tard, et que nous n’avons pas encore entamé la question pour laquelle nous nous sommes réunis ici ; il serait important de nous entendre une fois pour toutes.