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ques années à l’anse au Lamentin, cette colonie s’était promptement accrue ; elle comptait à cette époque près de quinze cents habitants ; braves gens recrutés un peu partout et jouissant de la plus exécrable réputation ; chose grave à Saint-Domingue, où généralement on était fort peu scrupuleux sur les questions de moralité ! En somme, à tort où à raison, ces gens passaient pour des drôles de la pire espèce, d’effroyables bandits. Les colons paisibles de Léogane les craignaient comme le feu, et à la dernière extrémité seulement, les flibustiers consentaient à les prendre comme matelots à bord de leurs navires.

Il était environ dix heures du soir, quand la pirogue, vigoureusement manœuvrée par Franck, fit grincer son avant sur le sable de la baie.

Toutes les maisons groupées pêle-mêle sur la plage, étaient encore éclairées, les tavernes flamboyaient comme des fournaises ; les cris, les rires, les chants, retentissaient, comme si cette singulière colonie eut été en liesse.

— Tire la pirogue sur le sable ; dit Bothwell en sautant à terre ; je n’ai pas besoin de toi, tu as deux heures pour te divertir ; mais ne t’éloigne pas trop, surtout conserve ta raison ; il nous faudra rentrer à bord.

— Soyez calme, capitaine, tout sera paré ; répondit l’autre déjà en train de pousser la pirogue au plein.

— Surtout ne laisse ni les avirons, ni la voile, tu ne les retrouverais plus.

— Oui, le pays est bon ; rien n’est abandonné à la traîne, dit le matelot en riant.

— Ainsi c’est convenu ; dans deux heures ?

— Entendu, capitaine, je serai là.

Bothwell, rabaissa sur ses yeux les ailes de son feutre, s’enveloppa dans son caban, puis s’éloigna à grands pas en longeant la plage ; sans doute afin de donner le change au matelot, et l’empêcher de savoir vers quel point il se dirigeait.

Mais celui-ci ne songeait nullement à l’espionner ;