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ces entrevues que cet homme, dont l’âme, flétrie par la débauche, ne possède plus un sentiment généreux, s’empara traîtreusement du cœur de la jeune fille, et lui fit oublier ce qu’elle se devait à elle-même, et à ceux dont elle porte le nom, jusque-là sans tache ; cette action fut d’autant plus lâche, ce crime plus infâme, que la malheureuse enfant était seule avec sa mère, sans protecteur et sans appui. Son frère avait été contraint de quitter la France à l’improviste, douze jours à peine après avoir donné l’hospitalité à l’homme qui devait porter la honte et le déshonneur sous son toit ; et il le savait, le misérable, car, avant de partir, son généreux sauveur avait pris congé de lui en lui disant ces nobles paroles : Nos familles ont été longtemps ennemies ; après ce qui s’est passé, nous ne pouvons plus nous haïr, nous sommes frères ; je vous confie ma mère et ma sœur, adieu !

— Monsieur ! s’écria le marin avec violence, en se levant brusquement, prenez garde !

— Que je prenne garde ?… à quoi, s’il vous plaît, monsieur ? répondit paisiblement le médecin ; douteriez-vous, par hasard, de l’authenticité de cette histoire ? Cela vous serait difficile, monsieur, car toutes les preuves sont entre mes mains, ou à peu près, ajouta-t-il d’un ton sarcastique.

Le marin se dressa, comme poussé par un ressort ; il lança un regard étincelant à son impassible interlocuteur, et, mettant sa main sous sa jaquette comme pour y prendre une arme cachée :

— Non, monsieur, dit-il avec un accent glacé, je n’ai pas le plus léger doute sur l’authenticité de l’histoire qu’il vous a plu de me raconter, et la preuve…

— C’est que si je n’y prends pas garde, interrompit froidement le médecin, vous allez m’assassiner.

— Monsieur ! fit le marin, avec un geste de dénégation indignée.

— Pas de cris, monsieur ; songez à l’infortunée qui repose sur ce lit de douleur ; reprit le docteur toujours