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— Est la plus belle de tout le continent américain, je le sais, monsieur, et pourtant je l’ai refusée, reprit le duc en souriant ; en voici la raison : Je ne suis ni un ambitieux, ni un homme dévoré de la soif de l’or, je suis tout simplement un homme qui désire servir son pays. Mais, ainsi que j’ai l’honneur de vous le dire, si le hasard m’a fait naître en Espagne, ma vie presque entière s’est écoulée dans votre pays ; j’aime la France de toutes les forces vives qui ont été mises en moi par le Créateur. La pensée de verser le sang français me fait horreur, je ne m’y résoudrai qu’à la dernière extrémité et avec douleur. Vice-roi du Mexique, messieurs les Frères de la Côte, je suis votre voisin, exposé chaque jour à entrer malgré moi en lutte avec vous. Ma femme, ma fille sont françaises, moi-même j’ai été élevé au milieu de vous, je suis presque votre compatriote ; mon cœur se briserait, je le répète, s’il me fallait vous combattre ; voilà pourquoi j’ai préféré la vice-royauté du Pérou, moins importante peut-être que celle du Mexique, mais qui possède pour moi l’inappréciable avantage de me permettre, tout en faisant mon devoir de fidèle sujet du roi mon maître, de conserver la neutralité pendant cette guerre qui commence. De plus, sachez-le, messieurs, mon estime pour vous est si grande que, tout navire de Saint-Domingue assailli par la tempête sur les côtes du Pérou pourra sans craindre d’être inquiété, chercher un refuge dans ses ports et s’y ravitailler en toute sûreté ! Voilà ce que je tenais à vous dire avant de me séparer de vous, messieurs, afin que vous comprissiez bien de quels sentiments je suis animé à votre égard.

— Monsieur le duc, répondit M. d’Ogeron, les paroles que vous avez prononcées nous ont profondément touchés. Elles ont trouvé de l’écho dans nos cœurs. Elles sont dignes de cette chevaleresque nation espagnole si généreuse, et d’un de ses fils les plus nobles et les plus braves. Je vous remercie sincèrement des sentiments de reconnaissance que vous avez exprimés pour la France. Quoi qu’il advienne, vous ne serez jamais notre ennemi