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Le commencement du dîner fut presque silencieux, sans doute à cause du peu d’intimité qui régnait entre la plus grande partie des convives. Cependant, grâce aux vins d’Espagne et de France servis à profusion, les têtes s’échauffèrent, le mur de glace qui séparait les invités s’écroula, la conversation s’anima, devint générale et la gaîté remplaça définitivement la froideur première.

Lorsque, selon la coutume espagnole, les valets eurent disposé le postre et servi les dulces, le duc, après avoir fait circuler des bouteilles de Valdepeñas et invité d’un geste les convives à remplir leurs verres, prit la parole :

— Messieurs, dit-il, ce repas est un repas d’adieu. Sous peu de jours j’aurai la douleur de vous quitter peut-être pour ne plus vous revoir. Laissez-moi, je vous prie, oublier un instant que je suis né Espagnol, pour ne me souvenir que de la France où j’ai passé trente années de ma vie ; où l’hospitalité m’a été si douce, dont j’ai épousé une des plus charmantes femmes, de la France enfin qui pour moi est une seconde patrie, plus chère peut-être à mon cœur que ma patrie native et dont, hélas ! je m’éloigne en exilé, des larmes dans les yeux, car je crains de l’avoir quittée pour toujours ! Nos deux nations sont puissantes ; toutes deux sont voisines l’une de l’autre ; elles se jalousent et sont rivales. La guerre que se font nos gouvernements, guerre qui, je l’espère, sera de courte durée, oblige-t-elle les particuliers à se haïr ? Je ne le crois pas. Chacun de nous doit faire son devoir, rien de plus, rien de moins. Dans quelques jours, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire, je pars ; non pas pour le Mexique mais pour le Pérou, ainsi que je l’ai appris des dépêches qu’à reçues M. D’Ogeron pour moi et qu’il m’a fait l’honneur de me remettre. S. M. Catholique, à la prière de certains de mes amis, a daigné changer la vice-royauté du Mexique pour celle du Pérou.

— Mais monsieur, pardonnez-moi cette observation, dit Monbarts, la vice-royauté du Mexique…