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Le marin roulait toutes ces pensées dans sa tête avec une ardeur fébrile, attendant, pour prendre une décision, que son adversaire se fût enfin résolu à lui donner le mot de cette énigme indéchiffrable, et à laisser échapper sa pensée tout entière.

Alors, connaissant la portée du danger dont, jusque-là, il n’avait été menacé que d’une façon ambiguë, il pourrait prendre d’énergiques dispositions et employer même, s’il le fallait, les moyens les plus extrêmes pour échapper à ce danger.

Arrivé à un certain degré de surexcitation morale, l’homme ne recule plus devant rien ; quelles que soient les barrières qu’on lui oppose, il les brise, ou meurt.

Telle était, en ce moment, la situation d’esprit du marin ; cependant, par un effort suprême de volonté, il renfermait toute émotion en lui-même ; avant tout, il voulait savoir ; cette raison suffisait pour maintenir sa colère et l’empêcher d’éclater au dehors.

Le médecin semblait être très-sérieusement occupé à tisonner ; après s’être acquitté, à sa satisfaction, de cet important devoir, il se redressa, consulta sa montre, jeta un regard sur la malade, se tourna vers le marin, toujours renversé, les yeux fermés, sur le dossier de son fauteuil, dans la position d’un homme endormi, toussota deux ou trois fois, sans doute afin de s’éclaircir la voix, et, tous ces préliminaires terminés, il entama enfin son récit :

— Monsieur, dit-il d’une voix mielleuse, dans laquelle cependant perçait une fine pointe d’ironie, je n’abuserai pas longtemps de votre patience. Pour qu’une anecdote soit bonne, elle doit, avant tout, être courte ; celle que vous allez entendre remplit complétement cette condition : en apparence, ce n’est que l’histoire assez vulgaire d’une jeune fille séduite, trompée et peut-être pis, par l’homme auquel elle avait donné son cœur ; événement ordinaire, presque banal, tant il est fréquent de nos jours, et dont je ne voudrais pas vous ennuyer, si l’histoire dont il est question ne sortait pas de la vulga-