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l’Océan pacifique, et porté la ruine, le désastre et la mort dans les comptoirs si riches et si nombreux des Espagnols.

Le roi Louis XIV, ce monarque si fier et si orgueilleux, avait deux ans auparavant officiellement reconnu l’existence de l’association des Boucaniers ; il avait sanctionné cette reconnaissance, en nommant un gouverneur chargé de toucher pour lui le dixième des prises ; ce gouverneur, M. d’Ogeron, gentilhomme Normand, vivait depuis plus de quinze ans au milieu des boucaniers qui le respectaient et l’aimaient comme un père. Il avait fixé sa résidence, le gouvernement comme disaient en riant les frères de la Côte, au Port-de-Paix, à Léogane au Port-Margot ; habitant tour à tour selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces villes.

Le gouvernement de M. d’Ogeron était plutôt fictif et nominal que réel et effectif, bien qu’au fond il eût une existence et une puissance positives.

Le digne gentilhomme avait été dans son temps flibustier lui-même ; il connaissait par conséquent ses administrés de longue date, et savait à quelle espèce de pèlerins il avait affaire. Il réglait sa conduite sur cette connaissance approfondie qu’il possédait de leur caractère ; les laissait complètement libres d’agir à leur guise, n’intervenant jamais sans en être prié ; en un mot effaçant le plus possible la qualité officielle dont le roi l’avait revêtu, pour ne laisser paraître que l’ami de bon conseil et le défenseur opiniâtre de leurs intérêts. Seulement il avait eu grand soin de se lier intimement avec tous les chefs les plus célèbres de la flibuste ; par ceux-là il tenait les autres, et réussissait toujours à faire faire ce qu’il voulait à ses administrés, sans que ceux-ci s’en doutassent ; ou s’ils s’en doutaient, ils en riaient les premiers de tout cœur ; reconnaissant que c’était de bonne guerre, et très-satisfaits d’avoir pour gouverneur un homme plus fin qu’eux-mêmes.

La colonie comprenait, ainsi que nous l’avons déjà dit, plus à la moitié de l’île de Saint-Domingue : elle s’éten-