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Ce spectacle était horrible.

C’était à donner le frisson du découragement et de la terreur à l’homme le plus froidement résolu, à redoubler le spleen de l’Anglais voyageur le mieux disposé à oublier et à se distraire.

Les voyageurs s’avançaient lentement, péniblement, tristes, affaissés sur leurs montures fatiguées, qui marchaient la tête basse, en trébuchant à chaque obstacle, si faible qu’il fût.

En voyant tout à coup, se dérouler devant eux cet immense et sinistre désert de sable, les voyageurs épouvantés poussèrent un cri de terreur, presque de désespoir.

Combien peu cette troupe découragée ressemblait en ce moment à ce qu’était la caravane lors de son imposant départ de Sonora !

Plus du quart des hommes et des animaux qui la composaient primitivement avaient succombé en route à la fatigue et à la misère ; leurs cadavres, abandonnés et déchiquetés par les coyotes et les oiseaux de proie, n’étaient plus que d’horribles squelettes destinés à grossir encore la couche de poussière sans nom sur laquelle ils étaient restés étendus.

Les survivants, déjà squelettes eux-mêmes, maigres, hâves, exténués, désespérés surtout, les yeux enfoncés sous l’orbite, brûlés par la fièvre, et les pommettes des joues, marbrées d’un rouge vif, ne se traînaient plus qu’avec une peine infinie, leurs regards mornes sans cesse fixés sur cet implacable horizon qui les enserrait comme un cercle de l’enfer sans qu’une éclaircie leur laissât entrevoir enfin le but tant désiré de leur course.

Ils avaient perdu jusqu’à la conscience du trajet accompli depuis leur départ ; ils ignoraient où ils se trouvaient.

Les pauvres malheureux seraient certainement morts de désespoir, s’ils avaient pu savoir que huit longues journées les séparaient encore de San-Francisco.

Trois personnes, dans toute la caravane, possédaient seules ce secret, la comtesse de Casa-Real, le métis Marcos Praya et le señor Benito, l’arriero en chef.

Pour comble de misère, depuis deux jours les voyageurs, comme si tout devait les accabler pendant le cours de ce terrible voyage, avaient découvert une piste indienne qui semblait tourner autour d’eux ; car d’espace en espace elle se faisait visible de tous les côtés à la fois.

Il fallait certes que les Peaux-Rouges fussent ou bien forts et bien nombreux, ou qu’ils connussent bien parfaitement la faiblesse des blancs, pour avoir laissé ainsi comme une sinistre raillerie des traces clairement marquées de leur passage, eux qui, lorsqu’ils le veulent, réussissent a les dissimuler si habilement.

Cependant, vers cinq heures du soir, sur un signe de la comtesse de Casa-Real, Marcos Praya donna enfin l’ordre de camper sur la lisière même du chaparral.

La fatigue était si grande qu’il eût été matériellement impossible aux hommes et aux animaux de pousser plus loin.

Nous l’avons dit déjà, le chaparral américain ne saurait être mieux