Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déterminé à se faire tuer en combattant, en vendant chèrement sa vie, ou à reconquérir sa liberté.

La voiture roula toute la nuit, les chevaux allant ventre à terre.

Elle ne s’arrêtait que pour relayer.

Les chevaux à peine changés, on repartait, toujours courant non pas un train de poste, mais un train d’enfer.

Enfin, le comte de Warrens sentit qu’on s’engageait dans un chemin de traverse.

Une porte roula bruyamment sur ses gonds rouilles.

La voiture s’engouffra comme un ouragan dans une vaste cour.

Là elle s’arrêta.

Passe-Partout comprit qu’on était arrivé.

Il se rejeta en arrière, reprit l’attitude qu’il avait en partant, ferma les yeux de plus belle, et attendit.

Il était huit heures du matin.


XX

LA FERME-PRISON.

On ouvrit le cadenas qui fermait la portière de la berline.

Un homme se pencha sur le comte, et après l’avoir examiné avec attention pendant deux ou trois minutes :

— Il dort, dit-il… il dort encore, hein ! le gaillard a le sommeil dur, mais avant peu il ne tardera pas à s’éveiller.

— Que faire ? répondit le guichetier dont le comte reconnut la voix.

— Ce qui est convenu, ne le savez-vous pas ? Exécutez vos ordres et ne vous préoccupez point du reste.

— Mais il s’apercevra de son changement de prison ?

— Qu’importe ! On le lui expliquera si besoin est ; d’ailleurs, dans deux jours nous serons sous voiles.

— Allons.

Comme il l’avait fait au départ de la précédente étape, le guichetier prit Passe-Partout dans ses bras, le sortit de la voiture et l’emporta sur son épaule comme s’il n’eût été qu’un enfant.

Après un court trajet et après avoir senti qu’on montait une vingtaine de degrés en assez mauvais état, le comte de Warrens s’aperçut qu’on l’étendait sur un lit.

C’était toujours la même marche. On n’y changeait pas un iota.

— L’éveillons-nous ? demanda son allié mystérieux.

— Oui.

Le guichetier approcha alors un flacon des narines du prisonnier.

Celui-ci fit un brusque soubresaut.

— Peste ! camarade, dit une voix inconnue, il est plus fiévreux aujourd’hui qu’il ne l’était d’ordinaire, eh ! eh !