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C’était une manière de lui donner tous les renseignements qui pouvaient lui être utiles sans se compromettre lui même.

Tout en tremblant de se trahir involontairement, le prisonnier admirait la finesse du porte-clefs.

Mais il ne savait pas tout.

Il écouta encore.

— Bah ! reprit le guichetier, crois-tu donc que le prisonnier n’ait rien deviné ?

— Lui ?

— Oui.

— On dit que c’est un malin ; moi, je crois que c’est un idiot… À sa place, j’aurais tenté dix fois de me sauver.

— Le jour où il se sentira le pied sur un navire, à fond de cale ou sur le pont…

— Eh bien ! quoi ?

— Il devinera tout de suite qu’on le conduit à la Havane.

L’autre haussa les épaules.

Passe-Partout eut un moment d’angoisse.

Il crut qu’on ne répondrait pas à l’insinuation du porte-clefs…

Mais ses gardiens avaient la langue bien pendue, et quand ils se lâchaient la bride, ils prenaient le mors aux dents.

Le camarade du guichetier répliqua :

— À la Havane ! faut-il que tu sois…

— On n’y va pas ?

— Eh ! non ?

— Vrai ?

— Pardine ! c’est ça qui la lui coupera…, et raide.

— Oh ! alors !… Pourtant c’est dommage.

— Pourquoi ?

— À la Havane on était chez soi.

— Oui…, mais ce diable qui dort si bêtement… y a mis son veto.

— Pas si bête !

— Ça lui servira ! Il a dénoncé l’affaire du brick.

— Sans la nommer… elle !

— Oui, mais elle ne s’y est pas fiée… Elle a fait vendre ses propriétés en sous-main.

— À perte !

— Elle est si riche ! Un peu plus, un peu moins…

— Et elle ne reparaîtra plus à Cuba ?

— Ma foi, non. Le garote vil n’a rien de bien tentant.

— Puisqu’elle n’est pas en cause ?

— Les autres peuvent la faire prendre, si on parvient à les prendre eux-mêmes.

— C’est vrai !

— Tu comprends comme elle porte ce mignon-là dans son tendre cœur.

— Ah ! ah ! le gaillard ; il a fait cela, s’écria le porte-clefs avec une indignation jouée de main de maître.