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— Même si le service que je requiers de vous vous semble impossible à rendre… ?

— Je vous connais, Edmée… Vous n’obligerez pas le frère de Noël à une action, à une concession indigne de lui et de vous.

— Mon honneur vaut le vôtre, Martial, répondit la jeune fille avec une fermeté pleine de noblesse… Certainement, ce que je désire sort des habitudes de la vie de tous les jours ; mais à ma place vous agiriez comme moi, et à la vôtre je ne serais pas aussi méfiante que vous.

— Ne me suis-je pas engagé à vous obéir ?

— Oui, mais vous voudriez bien qu’à l’instant même je vous apprisse ce que j’attends de vous.

— C’est vrai.

— Vous êtes trop exigeant, Martial. Vous me poussez à vous révéler un projet que j’ose à peine m’avouer à moi-même.

Elle secouait sa tête mutine pour chasser les pensées qui venaient en foule contrecarrer son désir.

Le colonel lisait dans son âme, comme dans un beau livre tout grand ouvert devant ses yeux.

Il admirait le courage d’Edmée.

Mais tant qu’elle n’avait pas eu en lui une confiance absolue, tant qu’elle ne lui avait pas dit : C’est cela que je veux faire, il ne se croyait pas en droit de lui crier : Ne faites pas cela !

De son côté, la jeune fille ne désirait parler qu’au dernier moment.

Sa résolution était inébranlable.

Elle s’était promis de n’écouter aucun conseil tendant à l’empêcher de mettre son projet à exécution.

Il leur était donc difficile de s’entendre, pour le moment du moins.

Le colonel essaya un dernier effort, par acquit de conscience :

— Il est difficile, chère Edmée, de marcher sans ambage et sans erreur dans ce labyrinthe qu’on nomme la pensée d’une jeune fille. Pourtant j’ai envie de tenter cette rude besogne. Aidez-moi seulement un peu. Soyez mon Ariane, et à nous deux nous viendrons à bout de résoudre le problème. Voulez-vous ?

Edmée secoua négativement la tête.

— Vous vous êtes engagé à m’accorder ma demande, Martial ; je n’ai pas promis de vous la faire connaître sur-le-champ.

— C’est la vérité… Mais si, pour ma propre satisfaction, je vous supplie de m’apprendre clairement le projet que vous avez formé…

— Le projet ? Quel projet ?… Vous pensez donc que j’en ai un en tête ?… Qui vous fait penser… ?

— Enfant ! allons, soyez confiante ! Puis-je avoir l’intention de vous chagriner, même par un sage conseil ? Ma douleur n’est-elle pas la vôtre ?

— Oui, notre souffrance est commune, oui, notre douleur est la même ! répondit Edmée ; voilà pourquoi je vous supplie de mettre le comble à votre générosité. Ne m’interrogez plus.

— Soit, Edmée. Gardez ce secret, que j’ai deviné.