« L’honnête commerçant n’avait plus recommencé.
« Il avait même profité de cela pour faire des compliments à ma sœur sur sa tenue et sur sa réserve.
« Mais il attendait l’heure de sa revanche, et cette heure ayant sonné, il s’empressa de nous payer le capital et les intérêts de sa rancune tout à la fois.
« Notre terme payé péniblement, il ne nous restait pas un centime.
« Force fut de chercher de l’ouvrage.
« Pendant huit jours, nous fîmes tous les magasins, tous les ateliers du quartier.
« Partout on nous demanda d’où nous sortions.
« Sur notre réponse, on allait aux renseignements, et notre ancien patron les donnant plus que médiocres, on nous éconduisait comme des coureuses ou des filles de mauvaise vie.
« Ce fut dur, allez !
« Un matin, que nous mangions pour deux sous de pain et un sou de lait, la moitié de notre avoir, on frappa à la porte de notre mansarde.
« J’ouvris, continua Rosette.
« Entra le concierge, qui montait une lettre.
« Nos trois sous, notre dîner du soir, y passèrent.
« Mais en ouvrant cette lettre et en lisant, Pâques-Fleuries poussa un cri de joie.
« C’était de l’ouvrage qu’on nous proposait.
« — Qui cela ? demandai-je.
« — Une madame Machuré.
« — La dame dont nous a parlé M. Charbonneau.
« — Oui ! me répondit tristement Pâques-Fleuries, qui avait oublié ce détail.
« — Qu’importe ?
« — Oh ! je n’irai pas, me dit-elle en tressaillant.
« — J’irai, moi, lui répondis-je. Il ne peut rien nous arriver de pis que de mourir de faim, et d’ailleurs, qui sait ? nous nous sommes peut-être abusées sur les intentions de cet homme.
« — Tu cherches à me tromper… tu te trompes toi-même, chère sœur, fit Pâques-Fleuries… Nous n’avons pas d’illusions à nous faire… Tout ce qui vient de cet homme ne peut être que nuisible ou déshonorant… Tu n’iras pas chez cette femme.
« — Si.
« — Tu es bien décidée ?
« — Je suis décidée à ne pas te voir souffrir plus longtemps de la misère et de la faim.
« — Soit ; alors, nous irons toutes les deux.
« Une heure après nous étions chez Mme Machuré, rue du Marché-aux-Chevaux, n° 33.
« La prétendue dame de charité de M. Charbonneau n’était pas autre chose qu’une marchande, revendeuse à la toilette