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— C’est que vraiment…

— Vraiment, tu me permettras d’avoir une volonté, une fois par hasard.

— Laissez-la dire, chère enfant, ajouta M. Lenoir avec son fin sourire. Nous ne prendrons de son récit que ce qu’il faudra pour ne pas vous embarrasser.

— Elle va mentir… dit Pâques-Fleuries en baissant la tête.

— Croyez-vous ?.

La jeune fille rougit et se tut.

Sa sœur vida son verre, que M. Lenoir venait de remplir, et frappant sur la table avec un petit air de commandement qui lui allait à merveille, elle s’écria :

— Attention ! Je commence.

— Nous y sommes.

Et l’on se rapprocha d’elle.

— Je dois tout d’abord vous avertir, messieurs, ajouta-t-elle d’une voix légèrement nerveuse, que si vous vous attendez à une histoire pleine d’éclats de rire, vous ne ferez pas vos frais.

— Rosette ! répéta Pâques-Fleuries.

— Ah ! si on épilogue mes phrases et mes périphrases, fit la grisette en secouant ses boucles brunes, je m’arrête avant de partir.

— Silence ! mademoiselle Pâques-Fleuries, crièrent les deux hommes à la fois.

— Mademoiselle Rosette me permet-elle une simple question ? demanda le commis-voyageur.

— Allez. J’écoute.

— Toutes nos sympathies lui étant acquises, et elle le sachant, pourquoi prendre cette précaution oratoire ?

— Injurieuse pour tout l’auditoire ! continua l’étudiant en médecine.

La Pomme sourit, laissa passer le reproche que lui adressaient ses auditeurs, puis, lissant ses cheveux d’un mouvement machinal, elle regarda une dernière fois sa sœur.

Celle-ci se tenait immobile à sa place.

Sombre et pensive, elle remontait le cours de sa vie, et la voix de ceux qui l’entouraient n’arrivait plus jusqu’à elle.

La Pomme reprit :

— Vous n’avez pas encore oublié la prophétie du vieux père Pinson ?

— Non, certes.

— Eh bien ! cette prophétie, qui prétend que tout ce qui doit être sera, a raison, j’en suis convaincue. Nul n’est ce qu’il paraît. Vous croyez me connaître, et vous ne me connaissez pas.

— Que voulez-vous dire, chère enfant ? lui demanda M. Lenoir.

— La vérité. Comment me connaîtriez-vous ? je ne me connais pas moi-même.

Le commis-voyageur et l’étudiant en médecine échangèrent un sourire.

— Vous croyez, continua la Pomme, que Pâques-Fleuries est née de la même mère ou du même père que moi. Il n’en est rien, et pourtant, quoiqu’elle