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Quant à Pâques-Fleuries, inutile d’ajouter que, dans la maison, personne ne s’était avisé de lui manquer de respect. Mais un soir, la jeune fille revenant, sur les huit heures, de son magasin, un rustre lui avait pris la taille. Pousser un cri, se retourner et le souffleter, fut pour elle l’affaire d’un instant.

Cela fait, elle se trouva mal et on la rapporta rue d’Astorg.

Depuis ce jour, la Pomme ne lui permit plus de retourner à son magasin.

Elles se mirent à travailler en chambre.

Rentrons chez M. Lenoir.

Le couvert était mis dans la salle à manger, sur une table en noyer.

Malgré les représentations du commis-voyageur, le digne concierge s’était obstiné à le servir.

Pour cela faire le père Pinson ferma tranquillement sa loge, et mit la clef dans sa poche, et, se dirigeant vers une superbe niche qui ornait un des angles de la cour, il détacha une admirable bête qui dormait à la chaîne.

Détail que nous avions passé sous silence : le vieux sergent avait un chien.

Ce chien, pur Mont-Saint-Bernard, gros comme un ânon et de force à lutter contre un ours, adorait son maître.

Sur un signe de lui, il aurait étranglé n’importe qui, homme ou bête féroce.

D’une blancheur de neige, avec une grande tache noire au beau milieu du front faisant d’autant mieux ressortir la susdite blancheur, ses longs poils soyeux lui formaient une splendide fourrure, à travers laquelle apparaissaient ses dents acérées et ses yeux tout chargés d’éclairs intelligents.

Doux et obéissant, le bel animal était connu, aimé et admiré dans tout le quartier.

Le sergent avait parié, un jour, qu’on aurait beau faire, que personne n’empêcherait son chien, perdu à cinq ou six lieues de Paris, de revenir rue d’Astorg, à son chenil.

Le pari fut tenu.

On mena le pauvre animal dans les bois de Viroflay, on le promena la moitié de la journée ; puis, une fois la piste de son maître perdue, on l’attacha dans la cour d’une petite maison de campagne éloignée de la grande route.

Le lendemain matin, la corde était rongée, le chien avait disparu, et le parieur recevait un mot du concierge, qui lui écrivait :

« Ne cherchez pas Hurrah, — c’était le nom du fugitif, — il est de retour dans sa niche. »

Des voleurs, flairant une bonne aubaine dans la maison de la rue d’Astorg, avaient essayé de l’empoisonner.

Ils en furent quittes pour voir leurs boulettes et leurs avances dédaignées, et pour se retirer l’un avec trois doigts de moins, l’autre avec ses vêtements en lambeaux.

Il avait un rude flair, ce brave Mont-Saint-Bernard !

D’ailleurs, son maître l’avait accoutumé à ne manger que du pain. Et encore fallait-il que ce pain coupé, haché en imperceptibles parcelles, fût offert par sa propre main.