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et les attaques de ses nombreux et lâches ennemis, celui des trois Espagnols qui paraissait le chef de cette hideuse révolte prit un revolver, s’avança lentement vers le groupe formé par lui et par les siens, et, visant à hauteur du front, il attendit.

Dès la première éclaircie qui lui permit d’entrevoir la noble et courageuse tête de l’officier, il fit feu.

Les bras de ce dernier laissèrent échapper les deux adversaires qu’il serrait à la gorge.

L’Espagnol tira un second coup de revolver.

Le lieutenant tomba, entraînant dans sa chute trois ou quatre matelots acharnés sur son corps.

L’Espagnol vint à lui, approcha du cœur de son terrible ennemi le canon de son arme et le coup partit.

Les matelots se relevèrent.

Le lieutenant demeura sans mouvement sur le pont, baigné dans une mare de sang.

— À la mer ! dit froidement le négociant espagnol.

— À la mer ! à la mer ! hurlèrent en chœur les révoltés, qui, humant le carnage et la destruction à pleines narines, ne possédaient plus rien d’humain.

L’officier fut saisi par les pieds et par la tête.

On le porta à la coupée.

Un instant après, il était lancé par-dessus le bord, aux acclamations triomphantes de ces cannibales.

Cette dernière exécution faite, les misérables respirèrent.

La lutte avait été chaude.

Tous les marins de l’équipage de la Rédemption qui ne faisaient point partie de la conspiration avaient été massacrés sans miséricorde.

De ce nombre, se trouvaient le capitaine du brick, le second, qu’on avait assassiné dans son lit ; le cuisinier du bord, et l’intrépide lieutenant, qui avait si longtemps tenu les assassins en échec.

Cinq matelots les avaient suivis ou précédés dans leur unique et vaste tombe.

Seulement les révoltés payaient cher ce qu’ils osaient appeler leur victoire.

Un des trois négociants avait été tué par le lieutenant.

Le timonier aussi.

Trois hommes, dont deux domestiques, et l’un des matelots qui avaient tourné casaque.

En tout cinq.

Demeurés maîtres du navire, les conjurés se mirent à chercher s’il ne restait pas encore sur ou sous le pont quelque victime à jeter à la mer.

Tout ce qui ne faisait point partie de leur bande était contre eux.

Ils ne voulaient laisser vivre aucun témoin qui aurait pu devenir gênant par ses dénonciations ultérieures.

En dehors de ces précautions cruelles, sanguinaires, mais rationnelles, vue prise de leur abominable crime, ils avaient un autre but, une seconde raison de se conduire avec tant de barbarie.