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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

puissante influence de cette nature primitive qui l’entourait ; en s’y trouvant ainsi plongé, il en percevait par tous les pores la sève fortifiante ; son être tressaillait et s’identifiait à la scène sublime à laquelle il assistait ; une mélancolie douce et rêveuse s’emparait de lui ; si loin des hommes et de leur civilisation étriquée, il se sentait plus près de Dieu, et sa foi naïve s’augmentait de toute l’admiration que lui causaient les secrets à demi dévoilés des grands arcanes de la nature qu’il surprenait pour ainsi dire sur le fait.

C’est que l’âme s’agrandit, les pensées s’élargissent au contact de cette vie nomade, où chaque minute qui s’écoule amène des péripéties nouvelles et imprévues, où à chaque pas l’homme voit le doigt de Dieu empreint d’une manière indélébile sur les paysages abruptes et grandioses qui l’environnent.

Aussi cette existence de périls et de privation a-t-elle, pour ceux qui l’ont essayée, une fois, des charmes et des enivrements sans nom, des joies incompréhensibles qui font que toujours on la regrette, car c’est seulement au désert que l’homme se sent vivre, qu’il prend la mesure de sa force et que le secret de sa puissance lui est révélé.

Les heures s’écoulaient ainsi rapidement pour le chasseur, sans que le sommeil vînt clore sa paupière ; déjà la froide brise du matin faisait frissonner les hautes cimes des arbres et ridait la surface tranquille de la rivière, dont les eaux argentées reflétaient les grandes ombres de ses rives accidentées ; à l’horizon de larges bandes rosées dénonçaient le lever prochain du soleil, le hibou caché sous la feuillée avait à deux reprises salué de son houhoule-