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La nuit était fort belle, tiède et éclairée par une lune splendide.

Les deux hommes se séparèrent provisoirement.

Fil-en-Quatre allait remettre la lettre chez M. Blanchet, son bourgeois, ainsi qu’il disait si pittoresquement, et, de son côté, le Loupeur allait attendre son ami au coin de la rue de Berry et des Champs-Élysées.

Il était un peu plus de dix heures.

Les Champs-Élysées étaient remplis de promeneurs, les uns allant, les autres venant ; beaucoup assis sur des chaises, causant entre eux ou regardant passer les voitures qui se croisaient en tous sens sur la chaussée.

Les guignols avaient foule autour de leurs baraques, les chevaux de bois et les jeux de toutes sortes étaient assiégés par les curieux et les badauds, la femme aux chèvres conduisait ses attelages à travers les rangs des promeneurs, les cafés-concerts faisaient rage.

C’était un bruit, un mouvement, un brouhaha indescriptibles, sur cette promenade sans rivale au monde, et dont l’aspect, en ce moment, était véritablement féerique.

Le Loupeur, un cigare de dix centimes aux dents, croisait devant la rue Neuve-de-Berry comme un corsaire en quête d’un galion.

Cette singulière croisière durait depuis environ un quart d’heure, lorsque deux hommes tournèrent l’angle de la rue de Ponthieu, entrèrent dans la rue Neuve-de-Berry, et suivirent le trottoir de gauche dans la direction des Champs-Élysées.

Le Loupeur, qui depuis leur apparition ne les perdait pas de vue, reconnut bientôt que l’un d’eux était Fil-en-Quatre.

L’autre était un homme trapu, fortement charpenté, vêtu comme le sont généralement les petits rentiers, portant toute sa barbe ; ses yeux s’abritaient derrière des lunettes à verres de couleur fumée-de-Londres.

Il paraissait avoir passé la cinquantaine, mais la fer-