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— Oui, une chance extraordinaire, dit le Loupeur en le regardant d’un air singulier. Continue.

Fil-en-Quatre, bien qu’il eut parfaitement remarqué le soupçon qui avait germé dans l’esprit du Loupeur, feignit de ne l’avoir pas vu. Il continua de l’air le plus détaché :

— Pour lors, ils ont pendant quelque temps baragouiné je ne sais quoi dans un langage impossible. Je rageais, c’est rien de l’dire, fallait l’voir, lorsque tout à coup le bourgeois de Montrouge se mit à rire en disant, en français cette fois : « Laissez-les faire ; ils feront buisson creux. Demain, la comtesse sera partie du boulevard de Courcelles et en sûreté dans la petite maison de la rue de Reuilly, 227. — Le Mayor est bien fin, il a des espions partout, a répliqué l’autre. — Il n’y a aucun danger ; personne ne sait que cette maison appartient à Julian. Il l’a fait acheter par un de ses domestiques, qui est ainsi censé propriétaire. Il est impossible qu’on aille la chercher là. — C’est vrai, dit l’autre, c’est bien joué, d’autant que s’il se hasarde à tenter quelque chose contre l’hôtel, dont la maîtresse n’y sera plus, nous leur avons préparé une réception à laquelle ils ne s’attendent pas. »

L’aplomb imperturbable de Fil-en-Quatre, la bonhomie railleuse avec laquelle il racontait cette histoire, avaient complètement donné le change au Loupeur ; ses soupçons s’étaient éteints. D’ailleurs, les détails dans lesquels il entrait, les noms qu’il donnait, et qu’il devait ignorer, lui prouvaient la véracité de son lieutenant.

— Tu dis, rue de Reuilly ? lui demanda-t-il.

— Oui ; numéro 227.

— Très bien ; je ne l’oublierai pas. J’irai faire une promenade par là aujourd’hui même, pour bien étudier le terrain avant de frapper le grand coup. Comment tout ça a-t-il fini ?

— Tout simplement ; ils ont recommencé à baragouiner, puis à reparler français, et, finalement, ils se sont séparés en s’serrant la main, et le bourgeois de Montrouge a dit : « Ils auront beau faire, nous les pincerons.