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trapu, et devait posséder une vigueur athlétique. Ses traits insignifiants et presque effacés quand ils étaient au repos, étaient éclairés par deux yeux gris fortement enfoncés sous l’arcade sourcilière, toujours en mouvement et pétillant de finesse.

Comme tous les grands acteurs hors de la scène, son visage était glabre.

Il jouait nonchalamment avec le cordon d’un binocle aux verres couleur de fumée de Londres, dont son regard vif et perçant ne semblait que difficilement justifier l’emploi.

Mais ce binocle, lorsqu’il le plaçait sur son nez, imprimait à sa physionomie un cachet bizarre d’assurance et de causticité qui lui donnait une ressemblance frappante avec une fouine.

Il était correctement vêtu de noir, et ses manières étaient celles d’un homme du meilleur monde.

Williams Fillmore présenta cet énigmatique personnage aux deux amis.

Il se préparait sans doute à faire en quelques mots l’éloge de ses talents, lorsque Bernard qui, depuis l’entrée de cet homme, n’avait cessé de l’examiner avec la plus sérieuse attention, se frappa tout à coup le front, et, s’avançant vers lui la main tendue, s’écria vivement avec une évidente satisfaction :

— Oh ! je connais monsieur depuis longtemps ! Et il ajouta avec un fin sourire : Je le sais fort habile ; monsieur se nomme Pascal Bonhomme. Il a pendant dix-huit ans exercé les fonctions à la fois si délicates et si difficiles de chef de la brigade de sûreté à la Préfecture de police ; les coquins, à quelque catégorie qu’ils appartinssent, avaient alors de lui une terreur profonde ; ils lui avaient même donné dans leur langage baroque le sobriquet de Giverneur, parce que, quelles que fussent leurs précautions, ils ne réussissaient jamais à lui échapper quand une fois il s’était mis à leurs trousses. Mais je croyais que depuis plusieurs années déjà, monsieur avait donné sa démission et renoncé la police.