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m’avait conseillé d’entamer des négociations avec elle ; mais après mûres réflexions, j’y ai renoncé, convaincu que je n’arriverais à rien avec ces brutes canadiennes.

— Je pense que vous avez eu raison. Les hésitations de Cœur-Sombre durèrent assez longtemps ; enfin, le troisième jour, il se décida à faire conduire le prisonnier au brûlis de la Hulotte bleue et de le livrer aux chasseurs pour lui faire infliger la loi de Lynch.

— Vous êtes certain de cela ?

— Vous en aurez bientôt la preuve ; n’ayant plus rien à faire à l’hacienda, je m’évadai une heure après le coucher du soleil, et je me rendis au brûlis, non pas pour m’aboucher avec les chasseurs, mais afin de surveiller ce qui se passerait ; je réussis à m’approcher du brûlis sans être dépisté ; les chasseurs, n’étant pas sur le sentier de la guerre, ne se gardaient point ; j’avais caché mon cheval dans un fourré, et je lui avais attaché les naseaux afin de l’empêcher de hennir. Arrivé presque sur la lisière de la clairière, je grimpai dans un mahogany géant et je me blottis au milieu du feuillage ; tout en étant complètement invisible, je pouvais voir et presque entendre tout ce qui se faisait et se disait dans la clairière.

— Hum ! C’était jouer gros jeu, compagnon.

— Peut-être ! mais j’avais mon idée ; je vous avoue que je n’ai jamais aimé Sebastian, qui, du reste, me le rendait bien, vous le savez ; de plus, j’étais convaincu, je ne sais pourquoi, qu’il n’était pas aussi votre ami qu’il feignait de le paraître, en un mot, que le dévouement à votre personne, dont il faisait parade, n’était qu’une haine déguisée.

— Je commence à croire que vous pouviez avoir raison, dit le Mayor en hochant la tête.

— Attendez la fin.

— Soit ; continuez.

— Je restai ainsi perché comme un perroquet sur une branche pendant plus de trois heures, je croyais déjà que peut-être le Cœur-Sombre avait changé d’idée, et fatigué de cette longue attente et transi de froid, j’allais