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quelques pierres, si petites qu’elles soient, à l’édifice que vous construisez si péniblement. Finissons-en avec le Mayor, avant tout autre chose. Notre rencontre avec lui eut lieu quelque temps avant les faits si graves que vous avez rapportés. À la suite d’événements trop longs à vous raconter, le Mayor fut condamné par moi à expier ses crimes, par un abandon au désert, sans armes, sans vivres, sans cheval et sans feu.

— Oh ! quel affreux supplice ! s’écria la comtesse en pâlissant.

— Il avait mérité pis encore ! s’écria Main-de-Fer rudement.

— L’arrêt fut exécuté dans toute sa rigueur, reprit Cœur-Sombre.

— Par moi, qui l’emportai garrotté, bâillonné et aveuglé, sur la croupe de mon cheval ; je le laissai seul, au milieu d’une forêt vierge presque impénétrable et peuplée de fauves. J’avais pitié de lui, j’espérais qu’il serait promptement dévoré, ajouta naïvement Main-de-Fer.

— Ma surprise fut grande, continua Cœur-Sombre, quand je reconnus ce matin ce misérable, que je croyais mort depuis longtemps. Par quels prodiges de volonté, d’énergie et d’intelligence, cet homme a-t-il réussi à échapper aux fauves, à vaincre la faim, le froid, la fatigue ? à retrouver son chemin dans le dédale où on l’avait laissé, et à reprendre sa place parmi les vivants ? C’est ce que je ne saurais dire. Je restai confondu en le revoyant à la tête d’une troupe de bandits, audacieux et fier comme je l’avais vu quelque temps auparavant, dans cette auberge perdue des Montagnes Rocheuses. Je n’avais pas voulu alors souiller mes mains de son sang, je lui avais laissé une chance bien faible, il est vrai ; mais je comptais sur le remords, j’espérais qu’il s’amenderait. J’avais tort ; tout est vicié en cet homme ; il mourra comme il a vécu, le blasphème à la bouche, le poignard à la main et avec le seul regret de ne pouvoir commettre d’autres crimes. C’est un fauve !

— C’est épouvantable ! s’écria la comtesse.