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bien longtemps. Qui sait quand nous nous reverrons ? Je ne veux pas me séparer de vous, mon cher docteur, en vous laissant dans cette ignorance ; ma dignité exige que vous me connaissiez comme je me connais moi-même.

Retirant alors de sa poche de côté un manuscrit assez volumineux, roulé et attaché par une faveur bleue :

— Prenez ce manuscrit, docteur, continua-t-elle en le lui présentant, c’est mon journal de jeune fille, depuis l’âge de quatorze ans, écrit chaque soir, et rapportant les événements de chaque jour ; mes pensées, mes joies, mes douleurs ; il a été continué sans interruption, jusqu’à aujourd’hui ; tout y est, le bien comme le mal, rapporté avec la plus entière franchise ; mon bon et digne père m’avait fait prendre cette habitude ; il me disait que cela me rendrait meilleure ; lorsque vous aurez lu ce journal, vous me jugerez ; j’ai l’espoir que vous ne me trouverez pas indigne de la protection que vous m’avez accordée, et des services que j’ai reçus de vous.

En parlant ainsi d’une voix émue, la marquise s’était laissée aller à l’émotion qu’elle éprouvait ; elle avait les yeux pleins de larmes.

— Oh ! madame répondit noblement le docteur en repoussant doucement le rouleau de papier que lui présentait la marquise, je n’ai aucun droit à m’immiscer ainsi dans vos secrets de jeune fille et de jeune femme ; tout honnête homme à ma place se serait conduit comme je l’ai fait ; reprenez, je vous prie, ce manuscrit, que je ne saurais accepter.

— Permettez-moi d’insister, mon bon docteur, reprit la marquise avec un mélancolique sourire ; vous ne m’avez pas bien comprise parce que sans doute je me suis mal expliquée. Pardonnez-moi ; ma pauvre tête, après les chocs affreux que j’ai reçus, n’est pas encore bien solide et mes idées bien nettes. Si je vous prie de lire mon journal de jeune fille, c’est plus pour moi que pour vous, docteur ; il y a beaucoup d’égoïsme dans mon fait, continua-t-elle en souriant. Nul ne peut prévoir ce que l’avenir cache dans les plis de son mystérieux manteau,