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— Le père de la prière peut ouvrir les yeux maintenant, la venaison fume et sa part est coupée.

Le moine, reconnaissant que sa ruse était découverte et excité par le fumet savoureux du daim, prit son parti en brave, il ouvrit les yeux et se releva sur son séant.

— Och ! reprit l’homme qui avait déjà parlé, que mon père mange, il a assez dormi, et il doit avoir faim.

Le moine essaya de sourire, mais il ne put faire qu’une affreuse grimace, tant la frayeur le tenait à la gorge. Cependant comme il avait en réalité une faim canine, il suivit l’exemple que lui donnaient les Indiens, qui déjà avaient commencé leur repas, et il se mit à manger le morceau de venaison qu’on avait eu l’attention de poser devant lui.

Le repas ne fut pas long ; cependant il fut suffisant pour rendre un peu de courage au moine, et lui faire envisager sa position sous des apparences moins sombres qu’il ne l’avait vue d’abord.

Du reste, les façons des Apaches à son égard n’avaient rien d’hostile ; au contraire, ils étaient attentifs à lui servir ce dont il avait besoin, lui redonnant à manger dès qu’ils s’apercevaient qu’il n’avait plus rien devant lui ; ils avaient poussé même la galanterie jusqu’à lui faire boire quelques gorgées d’eau-de-vie, liqueur extrêmement précieuse et dont ils sont excessivement avares, même pour leur usage particulier, à cause de la difficulté qu’ils éprouvent à s’en procurer.

Lorsqu’il eut terminé son repas, le moine, presque complétement rassuré sur les manières amicales de ses hôtes, les voyant allumer leurs longs