Arthur. Ah ! vous aimez !…
Sharp. Oui… master Sharp, de Washington, aime la gaieté beaucoup.
Arthur. Ça se voit bien ! Tiens, c’est un Yankee !
Sharp. Dites à moi ! Connaissez-vous ? J’aurais besoin d’un petit Français pour écrire les lettres de moâ !
Arthur. D’un secrétaire ?
Sharp. Oh ! yes… qui saurait aussi faire la barbe de moâ !
Arthur. Ah !… alors c’est un coiffeur !
Sharp. Qui porterait encore les paquets de moâ !
Arthur. Celui qui porte les paquets, c’est un commissionnaire.
Sharp. Et qui brosserait mes habits… mon chapeau.
Arthur. Dites donc, votre ami me fait l’effet de ressembler à un domestique.
Sharp. Oh ! non… un ami… factotum.
Arthur. Factotum ! qui sache tout faire… alors vous avez oublié la cuisine…
Sharp. Cuisine… aussi… française cuisine very bonne !… Je donnerai à ce petit française vingt piastres par jour, et je paie dix jours d’avance, deux cents piastres. Connaissez-vous ?
Arthur. Deux cents piastres !… Oh ! quelle idée ! Factotum… ce n’est pas déshonorant !… je n’ai plus le sou… le comte Horace n’arrive pas !… En un coup de roulette… je puis attraper une fortune !… Bah ! (À part.) Mes aïeux ne sont pas là ! (Haut.) Dites-moi, j’ai votre homme !…
Sharp. Oh !
Arthur, tendant la main. Donnez… les deux cents piastres !… Et tu verras la cuisine que je te ferai !
Sharp. C’est vous !
Arthur. Moi-même, j’attends vos ordres.
Sharp. Suivez-moi à la roulette !
Arthur. Que la rouge ou la noire me soit propice ! Je lui rends ses deux cents piastres, et je le plante-là !
Sharp. Mon ami… votre nom ?
Arthur. Arthur.
Sharp. Sir Arthur !… J’aime beaucoup… vous êtes très-gai.
Scène V
De Sauves. Il a une sellette de décrotteur sur les épaules. Faites-vous cirer, messieurs, faites-vous vernir ! Cirage anglais ! vernis parisien !… baume extra-fin ! cirage des sultanes ! collyre de la chaussure ! Le tout à l’instar du passage des Panoramas ! Dernier goût ! élégance ! propreté ! breveté de tous les gouvernements. Voyons, voyons ! messieurs ! — Tiens, c’est vous, Amanda !
Amanda. Monsieur de Sauves ! votre servante !
De Sauves. Ça va bien ?
Amanda. Vous voyez… je boulotte, et… je caboulotte !… Faites-vous, fortune ?
De Sauves. Hélas ! j’attends ici le comte Horace, et il ne vient pas assez vite à mon gré !
Amanda. N’est-ce pas lui qui doit être à la tête de cette expédition dont on parle à San-Francisco depuis plusieurs jours !
De Sauves. Lui-même… et sitôt son arrivée, adieu le cirage !
Amanda. Ah ! si j’étais homme, je dirais bien vite adieu à la limonade, et je m’engagerais avec vous ! Je m’ennuie ici au milieu de cette population de sauvages qui crient et qui se battent toute la journée.
De Sauves. Dame ! il y a un moyen… de nous suivre… sans changer d’état… devenez notre cantinière !
Amanda. C’est une idée !… Je ne dis pas non.
Un Américain, frappant sur une table. Un grog !…
Amanda, au garçon. Cinq dollars !… — Voulez-vous vous rafraîchir, monsieur de Sauves ?
De Sauves. Merci ! c’est trop cher pour moi !
Amanda. Ah ! pour vous… c’est gratis !
De Sauves. Trop bonne, merci !
Amanda. Nous trinquerons à l’arrivée du comte Horace et à notre prochain départ… car c’est dit, je partirai avec vous… J’aime les voyages… ça forme la jeunesse ; à votre santé !
De Sauves. À votre santé !… Allons, au revoir ! je vais gagner mon dîner ! j’en connais en Europe qui gagnent moins que moi, et qui font encore de plus vilains métiers ! (Il s’installe avec sa boîte au milieu du café.) Cirage anglais ! vernis parisien ! (Un Mexicain vient se faire cirer.)
Scène VI
Arthur. Chien de pays ! j’ai tout perdu, mes deux cents piastres ! (Il se heurte dans la boîte à cirage de de Sauves qui tire son revolver et le lui présente.) Je n’ai plus le sou !… Tiens ! que vois-je, de Sauves ? — Bonjour marquis.
De Sauves. Bonjour, Arthur.
Arthur. Dans quel état !
De Sauves. Armes parlantes… une brosse à souliers sur champ de cirage.
Arthur, se baissant près de lui. Ah ! Si nos aïeux nous voyaient !
De Sauves. Ils pensent bien à nous… ; donne-moi ton pied ?
Arthur. Mais…
Le Mexicain, tendant son pied Et celui-ci !
Arthur, le bousculant. Laissez-nous !… moi, c’est comme ami.
De Sauves. Donne… — au cirage ou à l’œuf ?
Arthur. Non, à l’œil.
De Sauves. Compris ! L’autre… (Examinant la botte.) Aïe ! la semelle !
Arthur. Hélas ! ce n’est rien encore !
De Sauves. Quoi donc ?
Arthur. Attends… un coup de brosse à mon habit, pendant que tu y es.
De Sauves. Oh ! Elbeuf, retour du boulevard… maturité complète !
Arthur. Oui, il se dépouille ! Mais ce n’est rien encore.
De Sauves. Parle donc !
Arthur. J’ai tout perdu !… excepté mon maître… J’ai un maître, tu entends, un gros, qui ne veut pas me lâcher…
Sharp, au loin. Domestique !… domestique !
Arthur. Tiens, le voilà !…
Scène VII
Sharp, criant plus fort dans l’oreille d’Arthur. Ah ! enfin, te voilà… c’est bien heureux !… je cherchais vous partout !
Arthur. Me voilà !
De Sauves. Ah ! ce pauvre Arthur ! console-toi ! Tout à l’heure un coup de roulette changera ta fortune, et ce sera lui qui deviendra ton domestique ; au revoir, Arthur ! — Allons, messieurs, cirage anglais ! vernis parisien ! (Il sort.)
Scène VIII
Sharp. Il faut partir tout de suite !
Arthur. Eh bien, bonjour !
Sharp. Vous partir avec moâ, prendre fusil, soldat à moâ !
Arthur. Je suis soldat, à présent !
Sharp. J’ai fondé une compagnie… pour exploiter les placers…
Arthur. Ah ! mais non ;… dites donc… j’attends le comte Horace… moi… je suis de la compagnie française… Halte-là !… je lui ai donné ma parole… à Paris…
Sharp. Moi, j’ai donné ici mon argent…
Arthur. Oui… mais nous n’avons pas parlé de coups de fusil… il a été convenu que j’étais votre ami…
Sharp. Pour tout faire ! Soldat, ou rends l’argent.
Arthur, criant. Pas soldat ! pas d’argent !
Sharp. Et mes deux cents piastres d’avance.
Arthur, montrant la roulette au fond. Vos avances ! ah bien !… elles sont loin, si elles tournent toujours.
Sharp, se levant furieux. Ah ! petite gredine ! tu as fait tourner mes avances ?… Alors, tu vas me suivre chez le coroner.
Arthur. C’est sérieux ?
Sharp, à la foule. Gentlemen ! Messieurs ! sachez que j’ai payé cette garçonne pour servir moà… et qu’il a pris deux cents piastres pour servir moà… et qu’il refuse de servir moâ… c’est un coquin, il faut qu’il serve moà ou qu’il rende l’argent !
Voix. Oui, c’est juste ! qu’il rende l’argent !
Sharp. Ou qu’il serve moà !
Arthur. Au nom de tout ce que tu as de plus cher au monde !
Sharp. Rends l’argent !
Arthur. De ta mère !
Sharp. Rends l’argent !
Arthur, entouré par une foule qui crie. De vos mères !
Voix diverses. L’argent ! l’argent !