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Curumilla, sur le seuil, lentement. Le chef assistera au mariage de la fille de don Raphaël, il le jure. (Il sort.)



Scène IX

Les Mêmes, moins CURUMILLA.

Guerrero, se retournant vers le notaire. Tout est-il préparé ?

Le notaire. Messieurs, si vous voulez me prêter votre attention, je vais vous donner lecture du contrat.

Guerrero, à Angela, qui a ouvert l’éventail et parcourt avec émotion ce qui est écrit dessus. Qu’avez-vous, doña Angela, vous êtes pâle, souffrez-vous ?

Angela. Non !… non !… vous vous trompez… je ne souffre point… je me porte à merveille, je vous assure…

Guerrero. Cependant ?…

Angela. Ce n’est rien, vous dis-je… la chaleur est accablante aujourd’hui. (À part.) Ah ! c’est horrible !

Guerrero, au notaire. Faites, monsieur.

Angela, lisant rapidement sur l’éventail. Le misérable !… (La foule entoure le notaire.)

Le notaire. Par devant nous don Stéfano Gomez, notaire mayor, etc., ont comparu premièrement, don Antonio Guerrero y Azetecas, gouverneur général de la Sonore, d’une part, et doña Angela…

Angela, se levant lentement. Monsieur… ! monsieur… ! vous oubliez quelques-uns des titres de don Antonio Guerrero, assassin de don Raphaël, son frère.

Guerrero. Angela !

Angela. Ajoutez : don Guerrero, empoisonneur de doña Inès, ma mère.

Guerrero. Angela, vous êtes folle !

Angela. Oui, folle ! folle d’horreur ! folle d’épouvante !

Guerrero. Angela !…

Angela, jetant son éventail Tenez !… lisez !… voici le récit de vos crimes, signé par ceux qui vous les ont vu commettre.

Guerrero, lisant. Tigrero ! de Sauves ! Toujours eux !

Cornelio, au fond. Aux armes ! aux armes ! les Français ! (Tocsin et vive fusillade au lointain.)

Guerrero, tirant son épée. Oui, aux armes ! En avant ! c’est le sang qui va laver tant d’outrages. (À Angela.) Et quant à vous !…

Angela. Moi, je ne vous crains plus, voici le tocsin qui sonne ma délivrance !

Tous. Aux armes ! aux armes ! (Angela tombe épuisée.)




Tableau V

Doña Carmen d’Aguilar.

Salon à claire voie au fond. — Jardin. — Au lever du rideau des faisceaux d’armes. — Des aventuriers dormant à terre, d’autres la tête appuyée sur des tables où sont encore des bouteilles et des verres. — Au fond, une sentinelle marche de long en large ; à la porte de droite, qui est celle donnant vers la chambre du comte, d’autres sentinelles.



Scène I

YVON, au fond, PIERRE, en sentinelle à la porte de droite, AMANDA, SANDOVAL, Notables d’Hermosillo.

Pierre, repoussant les curieux. Je vous dis qu’on ne passe pas.

Sandoval, suivi de notables. Le comte ! où est le comte ? Nous demandons le comte, nous voulons le voir !

Yvon. On vous dit que le comte n’est pas visible en ce moment ; il n’est pas encore jour chez monsieur !

Sandoval. Nous sommes les notables d’Hermosillo.

Yvon. Il fallait vous faire inscrire hier.

Sandoval. À quelle heure pourrons-nous le voir ?

Yvon. Pas avant deux heures.

Sandoval. Ah !

Yvon. C’est comme cela ! Nous avons beaucoup d’ouvrage aujourd’hui : monsieur le comte va sonner, dans vingt minutes. J’aurai l’honneur de mettre monsieur au bain ; puis, je coifferai monsieur, j’épilerai monsieur, je parfumerai monsieur, je préparerai le thé à monsieur, et monsieur le prend en lisant les journaux de France. Vous comprenez bien que nous allons mettre un peu de régularité dans notre existence, n’est-ce pas ? Nous ne sommes pas des sauvages, n’est-ce pas ? comme vous… n’est-ce pas ?… des hommes jaunes, verts, bleus, que sais-je ?… (Murmures, on entend un coup de pistolet.)

Sandoval. Hein ! qu’est-ce que cela ?… qu’arrive-t-il ?

Yvon, calme. Ce n’est rien ! c’est monsieur qui sonne… Il n’y a que les serpents qui aient des sonnettes ici… mais les appartements… jamais ! (Il sort.)

Pierre. Allons !… revenez à deux heures !… laissez-nous un peu tranquilles !

Sandoval Mais pardonnez… j’ai absolument besoin de parler au comte.

Pierre, lui montrant le jardin. Attendez-le là si vous voulez !



Scène II

Les Mêmes, ARTHUR.

Arthur, entrant avec un panier de champagne. Place ! place ! Noël ! Largesse au peuple !

Pierre. Monsieur Arthur ! Eh ! lieutenant, d’où revenez-vous ? On ne vous a pas vu depuis hier.

Arthur. Je viens de faire des perquisitions et voici mes prisonniers… Je les confie à notre cantinière.

Amanda. Un panier de champagne !

Arthur. Le champagne, c’est l’avant-garde de la civilisation française !

Amanda. Noce complète sur toute la ligne ! aujourd’hui tout est gratis !

Pierre, voulant l’embrasser. Alors…

Amanda, lui allongeant un soufflet. On donne même du retour.

Pierre. Aïe ! la belle main pour vous écrire en bon français une paire de soufflets sur la figure.

Arthur. Maintenant, mes enfants, buvez à ma santé, je retourne faire mes perquisitions.

Pierre. Que cherchez-vous donc avec tant d’acharnement ?

Arthur. Ce que je cherche ! Ah ! ça, vous croyez par hasard que j’ai pris Hermosillo uniquement pour faire de la peine aux Mexicains !… j’ai pris Hermosillo pour retrouver Aldegonde.

Amanda. L’ingrate Aldegonde !

Arthur. Que voulez-vous… ? c’est plus fort que moi…, je l’aime…! Cet amour-là est un rhumatisme que j’ai attrapé un soir de bal masqué, à l’Opéra.

Pierre. Pardon… lieutenant… mais sans vous offenser…

Arthur. Quoi ?

Pierre. Vous avez pris Hermosillo… personne n’en doute… cependant le comte y est bien pour quelque chose ?

Arthur. Ça, c’est vrai… il faut être juste !… Ah ! mes amis… celui-là… il vous prend d’assaut tout un faubourg avec autant d’aisance et de facilité que j’en mets à prendre une demi-tasse.

Pierre. Vous n’étiez pas à l’attaque de l’hôtel du gouvernement… lieutenant… ? Nous étions une quinzaine à peine.

Arthur. Oui… mais pendant ce temps-là, j’avais cru reconnaître le Mexicain d’Aldegonde… je l’ai poursuivi… et comme je suis un peu myope… je suis tombé dans une barricade mexicaine.

Amanda. Diable !… Eh qu’avez-vous fait ?

Arthur. J’ai fait… ce que vous auriez fait à ma place… j’ai pris la barricade… Voyez-vous, ce sont de bons enfants ces Mexicains.

Pierre. Figurez-vous… une satanée… rue… longue… oh ! mais longue… à n’en plus finir.

Amanda. La rue de Rivoli… prolongée… ?

Pierre. Non… ça va toujours en montant… ça me rappelle la rue des Martyrs !… en haut l’hôtel du gouvernement défendu par une centaine d’hommes… en bas… nous autres, quinze… le comte à notre tête, en costume de soirée… il n’avait pas eu le temps de changer d’habit… le stik à la main… le cigare aux lèvres… nous avions l’air d’être là pour nous amuser !… Ah ! ça n’a pas été long… une… deux… en avant !… prrr !… une volée de perdreaux !… plus personne que le concierge… qui nous a remis les clefs… voilà !… Eh bien, c’est égal… une ville de quinze mille âmes prise par trois cents hommes… en deux heures… Ça ne manque pas de galbe… nous raconterions cela sur le boulevard qu’on ne nous croirait pas… Eh bien, c’est de l’histoire !

Tous. C’est vrai !… c’est vrai !…



Scène III

Les Mêmes, ALDEGONDE.

Aldegonde, au loin. Arthur !… Arthur !

Arthur. Cette voix !… Aldegonde !…

Aldegonde. Ah ! merci, mes amis, merci, mais délivrez-moi !

Tous. De quoi ?